Pour continuer avec les événements majeurs de la littérature, il est permis de supposer que c'est à cinq heures de l'après-midi, dix-sept heures pour le dire dans les termes usités de nos jours – influence sans doute de la place prise dans nos vies par la technique et ses précisions, au détriment des intermittences du cœur, du flou artistique et de la contemplation oisive des couchers de soleil - à cinq heures de l'après-midi (je préfère quant à moi le redire ainsi) que Proust trempa dans une tasse de thé, était-elle en porcelaine de Chine ou de Limoges, en faïence de Quimper ou de Moustiers, (le souvenir se dilue dans le flot des ans comme le sucre dans la tasse – un souvenir encore plus trouble avec l'ajout d'un nuage de lait), « un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques. »
Il est permis de le supposer.
Parce qu'au lecteur, surtout celui de Proust, tout est permis. Mais faut savoir que c'est probablement mythe légende et fariboles.
Quoique.
Pas entièrement. Il y a un fond de vérité dans la tasse en question. Proust buvait en effet des boissons chaudes, bien calfeutré dans sa chambre.
Seulement, pour le coup du flash sur ses souvenirs de Combray, les gens bien informés disent que dans la tasse y avait pas du thé, mais du tilleul.
C'est fort de café hein ?
Mais néanmoins fort probable. D'une part dans certaines variantes du texte c'est ce qu'il écrit : une tasse de tilleul. D'autre part pour un asthmatique le tilleul est plus indiqué.
Le tilleul nous amène ainsi à un méchant doute, qui risque bien de ruiner définitivement notre supposition initiale. En tant que boisson calmante, voire lénifiante, il a la faveur des insomniaques. Or insomniaque, Proust l'était.
C'est dans l'insomnie et pas ailleurs qu'il faut chercher l'origine et le déploiement de son œuvre.
Traumatisé par une enfance passée à ne pas s'endormir de bonne heure alors qu'il s'était couché comme les poules, devenu adulte, il consacrait le plus clair de ses soirées à coqueter dans les mondanités, puis, de retour chez lui, en était réduit à se raconter à lui-même des histoires, vu que sa Maman n'était plus là pour l'aider à passer le temps.
Ce qui au passage permet de déduire de la longueur de son œuvre (et de ses phrases) la récurrence et la sévérité de ses insomnies.
Bref.
Vous voyez où je veux en venir : il y a de fortes chances que la tasse de probable tilleul ait été ingérée plutôt à cinq heures du matin, à la fin d'une nuit harassante d'écriture, dans l'espoir de goûter enfin, outre la dodue madeleine, un peu de repos bien mérité.
Parce qu'écrire nuit après nuit, en proie à d'angoissantes crises d'asthme, eh bien il est clair que c'était pas de la tarte.