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  • Reptilien

     

    « Le médecin voit l'homme dans toute sa faiblesse, le juriste dans toute sa méchanceté, le théologien dans toute sa sottise. »

    Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)

     

    Cherchez l'intrus. Vous ne trouvez pas, vous, qu'il y a comme une dissonance dans cette énumération ?

    Le médecin a affaire à la faiblesse humaine, à sa fragilité plutôt, somatique et psychique. Mais tout son effort est d'y remédier.

    Je parle, naturellement, pour les médecins fidèles au serment d'Hippocrate. Et par conséquent vraiment désireux de soigner leur prochain, pour son bien et non leur profit (ou celui des labos qui les corrompent).

    En outre le médecin se sait de même nature que ses patients, participant lui aussi de la fragilité humaine.

    De même le juriste est conscient de la méchanceté des hommes, de leur tropisme vers la perversion, qui leur fait utiliser la loi comme un instrument à leur profit exclusif, la déniant à l'autre.

    Mais son but est là encore d'y remédier. Construire des remparts législatifs pour que s'y loge la possibilité de civilisation.

    Fournir au faible protection contre le fort, ajuster au mieux, au moins mal possible, les besoins et les revendications des parties en conflit.

    Mais le théologien ? En posant que la sottise humaine est son domaine, Schopenhauer l'enferme dans un dilemme.

    a) Ou bien le théologien cherche, par charité chrétienne ou quoi que ce soit, à aider son frère humain à devenir moins sot. Et alors il scie la branche sur laquelle il est assis.

    Car l'homme qui apprend à raisonner et à discerner ne pourra manquer de faire le tri dans les affirmations du théologien. Bref il ne croira plus les yeux fermés, et par conséquent n'obéira plus itou.

    b) Ou bien il le confine dans sa sottise pour en profiter, au détriment de l'affichage éthique qui est de mise dans les religions. Ce qui ne peut manquer de le confronter à moult cas de conscience.

    À moins que par bonheur il n'en ait pas.

    La seule échappatoire serait donc, pour le théologien, sa propre sottise, l'empêchant de poser ce dilemme.

    Expédient providentiel utilisé par les plus dévots d'entre eux.

     

    Et pour le reste ?

    Le savant voit l'homme dans toute son ignorance, l'éducateur dans toute son indocilité, l'esthète dans toute sa laideur, le créateur dans tout son conformisme, le généreux dans toute sa petitesse, le délicat dans toute sa vulgarité.

    « Si seulement je pouvais me débarrasser de l'illusion de regarder les crapauds et les vipères comme mes égaux ! Cela me rendrait de grands services. »

    (Parerga et paralipomena)

     

    Pas à dire : côté langue de vipère, il assure, Arthur.

     

  • Prétentions

    Le monde comme volonté et comme représentation est un titre qui évoque disons la philosophie de dissertation : une scolastique abstraite et vaine, pourtant honnie de Schopenhauer.

    On admettra certes que c'est un titre plus accrocheur que La maladie à la mort de ce joyeux drille de Kierkegaard. Mais on avouera qu'avec Le gai savoir y a pas photo.

    Preuve s'il en fallait que le pauvre Arthur n'avait pas grand talent pour la communication. Si sa pensée a fini par trouver de l'écho, c'est que des lecteurs de bonne volonté (du moins il faut se les représenter tels) ont suivi son conseil :

    « Qui veut se familiariser avec ma philosophie doit lire jusqu'à la moindre ligne de moi. J'ai cette prétention. Car je ne suis pas un écrivailleur, un fabricant de manuels, un griffonneur à gages ; je ne suis pas un homme qui, par ses écrits, recherche l'approbation d'un ministre, un homme enfin dont la plume obéisse à des visées personnelles : je ne fais effort que vers la vérité, et j'écris, comme écrivaient les anciens, dans l'unique intention de transmettre mes pensées à la postérité, pour le profit futur de ceux qui sauront les méditer et les apprécier. » (Le monde comme volonté et comme représentation)

    Perso ce qui m'accroche ici n'est pas le mot vérité : tous les philosophes parlent super bien de vérité. Comme les politiciens d'unité et de probité ou les religieux d'amour universel.

    Après, en philo et ailleurs, entre dire et faire …

    Mais griffonneur à gages faut avouer que c'est bien trouvé. Bon, les visées personnelles de la plume ça fait un peu jeu de fléchettes (avec pour cible Hegel qui d'autre ? J'imagine qu'il l'avait aussi en version poupée vaudou).

    J'ai cette prétention : ça, c'est irrésistible. La véritable humilité se moque de l'humilité. Voilà qui annonce Nietzsche une fois de plus.

    Bref on peut se plonger dans le monde de Schopenhauer sans crainte : ça se lit sans peine et parfois avec plaisir. Ça ne va pas aussi loin que Nietzsche, forcément. Injustice de la chronologie : Nietzsche a pu se nourrir de Schopenhauer, mais pas l'inverse. C'est comme Descartes avec Spinoza.

    « À propos de Spinoza, laisse-moi te dire, Arthur, que tu ne l'apprécies pas à sa juste valeur. Tu dis qu'il n'y a pas de progrès dans la pensée philosophique entre Kant et toi. Eh bien moi je trouve que toi et Nietzsche vous êtes déjà dans Spinoza (qu'est-ce qui n'est pas dans Spinoza ?) Et je pourrais le démontrer. J'ai cette prétention ...»

    Ah ah vous avez eu peur, hein ? Rassurez-vous je ne suis pas philosophe de dissertation. Quoique.

    Si on me demandait gentiment de griffonner (à condition que ce soit à gages, naturellement, après tout Ariane peut valoir Pénélope, non ?), va savoir ...

    Aussi bien je serais prête à écrire même sur …

    -Hegel ?

    -Restons sérieux, quand même !

     

     

  • Luciole on the earth ...

    « Les religions sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut l'obscurité. » Schopenhauer (Parerga et paralipomena)

     

    Voilà un aphorisme fort réussi, et qui se passe de commentaires. Mais on se refait pas : comment m'empêcher d'en dire deux ou trois trucs ?

    C'est vraiment une jolie trouvaille, aussi poétique qu'ironique, cette image des vers luisants.

    Évocation de célébrations nocturnes, lumignons en procession, bougies allumées pour Hanouka, Pâques ou Noël, cierges tremblotants dans la pénombre des nefs.

    Car les religions souscrivent à la phrase de Schopenhauer, sauf que leur vision est à l'inverse. Elles affirment que la lumière est de leur côté.

    La lumière a brillé dans les ténèbres. (Évangile de Jean) Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une lumière. (Livre d'Isaïe)

    Alors comment discerner ce qui est pour de bon lumière et ce qui est obscurité, que l'on soit religieux ou pas, croyant ou sceptique, athée, agnostique ?

    L'ennui c'est que c'est un peu comme à gauche la question de la division : chacun soutient que c'est du fait de l'autre. 

    Les religions diront : ce monde est plongé dans les ténèbres, nous lui apportons la lumière. Selon les religions, les époques, on ne mettra pas tout à fait la même chose dans les ténèbres (et consécutivement dans la lumière).

    Exemple pour l'inquisiteur catholique c'était ténèbre que l'hérésie, lumière la flamme d'un bel autodafé (= acte de foi). Brûlez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens.

    On aurait pu espérer que cette conception du monde fasse long feu. Mais non. De nos jours, d'autres inquisiteurs d'autres religions (ou aussi de la même) ont repris le flambeau, contre la société sécularisée des mécréants.

    (Sans compter que des bûchers s'allument aussi de courant à courant, de secte à secte à l'intérieur-même des religions, et ce ne sont pas les moins ravageurs, narcissisme des petites différences oblige).

     

    Et pourtant elles étaient venues au monde, les Lumières, elles avaient brillé dans les ténèbres de l'obscurantisme. Le monde en était devenu plus lucide, croyions-nous. Plus apte à la raison et à la rationalité.

    Sauf que la véritable difficulté, c'est d'en devenir plus généreux, décidé à prendre soin en soi et en l'autre de l'humain. Mais nous mesurons à tout propos combien un tel effort est surhumain, combien incertaines ses concrétisations.

    Contre la violence qui terrorise, contre les discours mensongers qui aliènent, contre la bêtise qui aveulit, nos pauvres Lumières sont tellement fragiles, petites lucioles perdues dans la nuit.