« Un être bon agit avec sérénité ; même les pensées qu'il a en rêve sont harmonieuses. »
Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,47)
Discutable, non ?
Déjà, assimiler bonté et action sereine est un peu rapide. Certes qui se veut bon veillera à éviter la violence, les provocations, les perturbations.
Mais il lui faudra bien parfois, sous peine de renoncer précisément à sa bonté, perdre en sérénité et admettre une certaine tension. Revendiquer la justice par exemple, ou la liberté, pour soi ou d'autres, voilà qui peut conduire à des oppositions pas toujours sereines.
Quant à l'idée que les rêves seront harmonieux parce qu'on est bon, ce n'est pas l'avis de Freud. Mais alors pas du tout.
Rappelons que dans la théorie freudienne un rêve est l'expression d'un désir inconscient. Et même, d'une certaine façon, il est sa réalisation sous forme symbolique, disons sa mise en œuvre sur la scène onirique. Ce que Freud nomme l'autre scène : une sorte d'envers de la réalité objective, sa doublure invisible mais indissociable.
Ce désir, pourquoi est-il inconscient ? Parce qu'il est l'objet d'un refoulement.
Et pourquoi est-il refoulé ? Parce qu'il ne correspond pas aux exigences du moi et du surmoi : il donne à la personne une mauvaise image de soi, il est jugé vulgaire, stupide, insignifiant. Ou illicite, immoral, scandaleux.
En un mot le désir est refoulé parce qu'il est déclaré bête et/ou méchant par le tribunal de la conscience.
Mais, poursuit la théorie freudienne, qui dit refoulé dit en même temps retour du refoulé. Le rêve est un des canaux du retour du refoulé et de l'expression du désir inconscient. (Comme le lapsus ou l'acte manqué).
Une expression indirecte, codée, camouflée, et d'autant plus que le désir est jugé illicite et condamnable.
Freud amène donc à relativiser, pour ne pas dire contester la phrase d'Hong.
Il peut arriver pourquoi pas que le rêve soit harmonieux.
Plus souvent, dans le tiraillement entre force de refoulement et celle de retour du refoulé, il se fait absurde, incongru, déroutant. Et d'autant plus que la tension est forte entre ces deux forces opposées.
La bonté ne produit pas toujours des rêves harmonieux, ce serait plutôt l'inverse.
Plus on est « moral », s'efforçant au bien suivant les bons conseils du surmoi (y en a aussi des mauvais, mais c'est une autre histoire), plus l'inconscient accumule de mochitudes, dans son office de poubelle à rebuts d'éthique. Matériaux peu propices à la sérénité diurne comme à l'harmonie onirique.
Freud était comme nous, je suppose, il avait besoin d'harmonie (encore qu'il disait ne rien comprendre à la musique - sans doute n'avait-il d'oreille que pour les mots).
Mais pas au point lui sacrifier la vérité.