Je me demande si Lewis Carroll lisait La Fontaine.
Sans doute connaissait-il ses principales sources, Phèdre le Latin, Ésope le Grec. En tous cas la fable intitulée La chauve-souris et les deux belettes (livre II,5) n'est pas sans rapport avec certains passages d'Alice au pays des merveilles.
La chauve-souris en question tombe un jour dans le nid d'une belette envers les souris de longtemps courroucée.
Curieusement, au lieu de lui faire la peau direct, la belette entame un débat d'une logique toute lewiscarrollienne :
N'êtes-vous pas souris ? Parlez sans fiction ;
Oui, vous l'êtes, ou bien je ne suis pas belette.
La chauve-souris réplique en une subtile esquive, déplaçant les termes du débat de la réalité (convoquée par le sans fiction de la belette) à celui du langage, de la représentation symbolique : ce n'est pas ma profession (= ce que je dis de moi) des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Et elle poursuit j'ai des ailes comme vous voyez, je suis donc oiseau. La belette est convaincue, la chauve-souris se tire à tire d'ailes.
Manque de pot elle tombe peu après chez une autre belette aux oiseaux ennemie.
Et là elle s'en sort en disant OK j'ai des ailes, mais qui (qu'est-ce que qui) fait l'oiseau ? C'est le plumage. Je suis souris : vivent les rats !
Comme chez L.C, on joue avec une pseudo-logique syllogistique, habile à masquer les failles du raisonnement.
La belette qui mange les souris ne mange pas les oiseaux, et inversement pour l'autre. On se demande bien pourquoi chacune ne peut pas manger l'un et l'autre ?
Comme si on avait posé une loi absurde qui oblige à se situer dans une rigide bipartition (on verra dans les derniers vers à quoi pense JLF).
La chauve-souris a la parade toute trouvée : dénier l'aspect conjonctif de sa double nature, le transformer en disjonction, pour répondre à la menace elle aussi disjonctive.
Faut pas me voir oiseau et souris, mais 1)ou oiseau 2)ou souris.
1)Je suis oiseau voyez mes ailes/Vive la gent qui fend les airs !
2)Qui fait l'oiseau ? C'est le plumage/Je suis souris, vivent les rats !
Par cette adroite répartie, elle sauva deux fois sa vie.
D'écharpe changeant aux dangers
Le sage dit, selon les gens : Vive le Roi ! Vive la Ligue !
Remarquons à la décharge de la chauve-souris que dans les deux cas elle dit vrai : avantage de sa double nature.
Pour ses changements d'écharpe et autres retournements de veste qu'alléguera pour sa part le sage ?
Peut être avec Brassens mourir pour des idées d'accord mais de mort lente.