« Le soleil semble se diffuser et, en effet, il se diffuse, mais sans effusion. Car cette diffusion est une extension. (…) la lumière du soleil qui pénètre dans une pièce sombre par une fente : elle s'étend en ligne droite, pour se poser sur le premier support venu qui la coupe de l'espace qui suit ; elle s'y tient sans glisser sans tomber. Voilà ce que doit être l'intelligence : diffusion – et non effusion – et extension. Il ne faut pas qu'elle heurte violemment et impétueusement les obstacles qu'elle rencontre ni qu'elle se laisse abattre par eux mais qu'elle s'y tienne en éclairant ce qui la supporte. »
(Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VIII, 57)
Marco livre ici une belle ode à la lucidité, bien avant la célèbre question-réponse de Kant. L'association lumière-pensée est un invariant humain, si évidente est la sensation que comprendre c'est « y voir clair ». (D'où la réflexion des hommes des Lumières – ou de Montaigne entre autres avant eux – pour enrichir la "vision" du monde à partir de celle des aveugles de naissance).
La formulation de Marc-Aurèle fait bien voir dans l'intelligence pas seulement l'aptitude au raisonnement abstrait, à l'analyse des concepts, mais l'ensemble des facultés qui permettent de prendre en compte le monde, d'embrasser par la pensée la réalité, d'allumer la lampe qui en dévoilera tous les aspects.
Qu'elle s'y tienne en éclairant ce qui la supporte : belle formule. Tiens, d'ailleurs, outre les Lumières, ce passage m'évoque un texte biblique. Dans le psaume 19 (cf ce blog 26/30-09-2018) on trouve pareille métaphore solaire pour le divin, en tant qu'éclairant ce qui le supporte.
« Il jaillit de l'extrémité du ciel, son orbe en couvre toute l'étendue : nul n'est caché de sa chaleur. » (v.7)
Quant au terme effusion, il faut y entendre dissolution, le fait qu'au fur et à mesure qu'une chose se répand, elle s'amenuise, se dissout, se dilue. Le mot extension que Marco lui oppose dit la qualité compréhensive de l'intelligence, qui lui fait épouser son objet comme, au fur et à mesure de la croissance, la peau ne cesse d'épouser la chair.
Commentaires
Marc-Aurèle n'est pas dans ma bibliothèque. En lisant vos billets de septembre, je me dis qu'il pourrait bien y entrer. Merci pour ces extraits et vos commentaires.
Merci à vous de me lire, Tania.