« Fontaine je ne boirai pas de ton eau » : j'ai repoussé plus haut (Et en même temps) les explorations buissonnières en marge de cette lecture que je tente de faire aussi serrée que possible.
Mais le lien établi par Spinoza entre flottement d'âme affectif et doute intellectuel (scolie prop.17 note précédente) m'amène comme par la main à mentionner le livre fort intéressant de Bruno Patino La civilisation du poisson rouge (Grasset 2019).
Patino y analyse comment le capitalisme numérique fait fortune sur le marché de l'attention.
Sans sacrifier à l'anti-internet primaire (il l'a vu naître avec enthousiasme), il constate la déception de la promesse de démocratie numérique, que sa diffusion planétaire, dans tous les domaines de la vie et de la culture, avait un temps permis d'espérer.
Il souligne cette déception dans son propre domaine, le journalisme. Naguère agent de diffusion d'informations sourcées et vérifiées, support et initiateur de débats sociétaux et politiques éclairés, le journalisme court à présent après le mode pulsionnel de communication prévalent dans les réseaux dits sociaux.
Ils le sont en un sens, puisqu'ils tissent du lien social. Sauf que les liens par lesquels ils nous lient sont de moins en moins des liens qui libèrent.
À quoi cela est-il dû ? Au choix des firmes d'un mode de fonctionnement radicalement mercantile, conçu sur le mode capitalistique de la prise de parts de marché.
En l'occurrence, la mine d'or du nouvel âge capitalistique gafaïen est la captation de l'attention, du temps.
Bref le rapport avec le flottement d'âme ?
Les infos & données que nous rencontrons sur internet nous affectent tantôt de joie/activité, tantôt de tristesse/passivité. Tout le problème est que nous ne choisissons pas, et de moins en moins. Nous sommes, via les outils algorithmiques des gafa, ballottés continuellement des unes aux autres.
Car ces entreprises ont intérêt à nous enfermer dans un doute incessant (pas le questionnement actif de la science ou de la philosophie, mais bien l'assignation à la passivité de l'inadéquation). Ça leur est facile dans un système qui a fait sienne la question cynique d'Ubu « le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? »
Intérêt des gafa à nous « endouter » ? Créer l'addiction : on va chercher fébrilement toujours plus d'infos pour échapper au malaise du flottement, multipliant clics pulsionnels et donc gains gafaïens.
Provoquer une « fatigue décisionnelle » (source d'apathie et d'aboulie), dont nous dispenseront les algorithmes, qui l'ont d'abord provoquée (schéma connu du pompier pyromane).
Et comment ne pas voir le profit politique que peut tirer de ce flottement le populisme, où le chef est par excellence celui qui sait et décide ?
Patino conclut cependant : tout n'est pas perdu on peut redresser la barre. Oui, par exemple en lisant Spinoza (je dis ça je dis rien).