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Etoiles filantes (2/7)

Elle se sert rarement de sa cheminée depuis quelque temps, c'est tellement de travail pour son vieux dos, ses vieux doigts. Du temps de Léon, c'était lui qui transportait les bûches, les calait dans le foyer, cassait le petit bois, froissait une feuille du papier journal qui s'entassait dans la corbeille d'osier.

Presque tous les soirs d'hiver ils allumaient le feu contre le froid traître qui cherchait à se coller aux murs, aux meubles, et jusqu'à leurs vêtements. Il y avait bien le chauffage central, les radiateurs, mais ce n'était pas pareil que la flamme vivante qui virevoltait sur les craquements du bois, telle une danseuse de flamenco agitant sa robe aux volants rouges.

Ce n'était pas pareil, ce n'était pas aussi beau.

C'est peut être pour ça que ça réchauffait moins.

 

Ce soir Madeleine n'a pas allumé la télévision, elle a tricoté longtemps devant le feu.

Et comme elle n'avait pas à soutenir, à coups de hochements de tête et de soupirs, sa coutumière conversation muette avec les amis indifférents du poste, ni à leur rendre les sourires qu'ils envoyaient au hasard depuis l'écran, elle a laissé revenir ses images à elle, ses souvenirs, les lointains visages et les lieux du passé, les conversations, les disputes, les fatigues et les fêtes.

Une maille à l'endroit, une maille à l'envers, un rang après l'autre …

 

Maintenant elle s'est arrêtée de tricoter : elle a trop mal à ses vieux doigts. Elle se contente du face à face avec les flammes.

C'est comme si elles dansaient, pour elle toute seule, une chorégraphie inédite, qu'elle reconnaîtrait pourtant. Elles tressaillent, ondulent sans déhanchements superflus, pudiques et offertes à la fois.

 

Madeleine repense à l'amour léger des matins de ses vingt ans, et un sourire espiègle illumine ses rides. Elle repense, avec un frisson délicieux, aux caresses exultantes, plus tard, dans les après midi d'été, quand elle disait à Léon « Pourquoi on dit force de l'âge ? On s'en fout qu'il soit fort, l'âge, ce qui compte, c'est qu'il reste toujours aussi doux. » Léon se taisait. Et l'effleurement de ses baisers, des ailes de papillon ...

 

Elle revoit son visage de mort, un visage boudeur, fâché, qu'elle ne lui avait jamais connu. Elle revoit ses mains inertes sur le drap. Elles étaient si froides.

Elle se souvient avoir pensé bêtement « Mais pourquoi a-t-il les mains si froides ? Il faudrait faire une flambée dans la cheminée, il fait trop humide pour un mois de mai ... »

 

 

 

Commentaires

  • Se réchauffer aux bons souvenirs, c'est de toutes les saisons. Toutes les vies seraient-elles des étoiles filantes ?

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