Il y eut un soir, il y eut un matin. Premier jour.
Il y eut un soir, il y eut un matin. Deuxième jour.
Il y eut etc. etc. (jusqu'au sixième)
(je précise pour ceux qui n'ont pas lu) (mais bon je ne divulgâche pas grand chose je pense) (et puis les auteurs ne sont plus là pour me le reprocher)
Quelle magie poétique dans ce refrain du premier chapitre de la Genèse ...
Poésie vraiment étonnante si l'on y songe : comment peut-elle surgir de ces trois mots si simples du langage le plus prosaïquement quotidien (cela dit Rimbaud aussi le fait). Peut être parce que dans ce déroulement ordinaire du temps auquel nous sommes tellement habitués, ils réalisent un arrêt sur image.
En eux le temps se suspend comme on retient son souffle.
Chaque matin, chaque soir de chaque jour qui passe, ou plutôt dans lequel nous passons*, sans y prendre garde, mérite d'être contemplé pour le miracle qu'il est. C'est sur ce miracle que les auteurs de la Genèse s'extasient (et incitent le lecteur à le faire).
« Eh mon gars tu réalises ? Y a du temps, là, et ce temps tu y as lieu d'être.
- Oui OK et alors ? C'est la vie c'est tout.
- C'est la vie c'est tout : blasé, va ! T'as déjà réfléchi à la somme de hasards combinés pour que tu voies le jour, et déjà qu'il y ait un premier jour ?**
- Ouais j'y pense vite fait, mais pas tous les jours non plus. C'est quand même un peu des trucs d'intello (c'est pas contre vous les mecs). Je vis aujourd'hui, voilà c'est bien.
- Je vis aujourd'hui : tu l'as dit. L'autre miraculeux hasard c'est qu'il te soit donné, à toi, de vivre ce matin, ce soir, ce jour.
- Vous insistez sur le hasard, mais en vrai vous pensez à un Dieu créateur et patins couffins.
- Ah t'es pas si bourrin finalement ... Mais c'est un peu plus compliqué que ça mon gars. On est auteurs bibliques du 6°avant JC (aux dernières nouvelles exégétiques), et pas fondamentalistes de l'an 4 PT (post Trump) … Côté subtilité y a pas photo. En plus ce qu'on dit, Épicure le dit aussi (si tu préfères éviter la bible).
- Et pis qui ? … Non je rigole.
- Euh bref tout ça pour dire la prochaine fois que tu te lèves très tôt un matin, quand il fait encore sombre, prends le temps de savourer, à petites gorgées avec ton café, le miracle du jour qui naît. »
*cf les vers de Ronsard (Du virus 3/8, 11 mai 2020)
**Au 26°s ante-Einstein, le livre de la Genèse ne peut évidemment relativiser la notion de linéarité du temps, et par là celle de premier jour. Mais pour nous petits veinards à la poésie du temps s'ajoute aujourd'hui celle de la science.
Commentaires
Oui, ce texte biblique est d'une poésie éternelle.
Pour ma part, le matin, ce sont les mots de Winnie qui me viennent le plus souvent à l'esprit : "Encore une journée divine" (Beckett, Oh les beaux jours - pour ceux qui ne l'ont pas lu ;-)
Merci, Tania : ce rapprochement est bien intéressant. C'est vrai que "Oh les beaux jours" peut se voir comme un carpe diem, à la sauce Beckett bien sûr.