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Excellent en l'oubliance

« Il m'est très malaisé de retenir des noms. Je dirai bien qu'il a trois syllabes, que le son en est rude, qu'il commence ou termine par telle lettre. Et si je durais à vivre longtemps, je ne crois pas que je n'oubliasse(1) mon nom propre, comme ont fait d'autres. (...)

Et suis si excellent en l'oubliance, que mes écrits même et compositions, je ne les oublie pas moins que le reste. On m'allègue(2) à tous les coups à moi-même sans que je le sente.

Qui voudrait savoir d'où sont les vers et exemples que j'ai ici entassés, me mettrait en peine de le lui dire.(3) (...)

Ce n'est pas grand merveille si mon livre suit la fortune des autres livres et si ma mémoire désempare(4) ce que j'écris comme ce que je lis, ce que je donne comme ce que je reçois. »

(Montaigne Essais livre II chapitre 17 De la présomption)

 

(1)Effet d'insistance de la double négation : je suis tout à fait sûr que j'oublierais.

(2)On me cite.

(3)Eh oui : il cite de mémoire (et donc parfois approximativement). Du coup cela a été un gros boulot pour ses éditeurs de rendre à César (et aux autres) …

(4)Désemparer utilisé comme contraire de s'emparer de. C'est en fait un terme de marine : un bateau est désemparé quand, ayant subi des avaries, il n'est plus correctement armé pour la navigation. Un mot donc qui est un concentré métaphorique.

 

Le trait de caractère que je lis en creux dans cette absence de mémoire, c'est l'aptitude à se satisfaire du présent. Ne pas chercher à retenir ce temps qui passe. Juste y trouver à chaque moment un lieu d'être.

Et pour finir, une association libre (en saluant au passage Papa Freud) : cette métaphore du désemparement m'évoque vous savez quoi un certain Bateau ivre. Association pas si absurde peut être : Montaigne aurait voulu, dit-il, être poète (comme Ronsard, par exemple, il l'admirait beaucoup).

Mais bon, poursuit-il, les rares poèmes que j'ai commis sont vraiment trop nuls …

 

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