« n°32 : L'asservi
A: Il s'arrête et écoute : qu'est-ce qui a pu l'égarer ?
Qu'entend-il bourdonner à son oreille ?
Qu'est-ce qui l'a ainsi abattu ?
B : Comme tout homme qui porta jadis une chaîne,
Il entend partout – cliquetis de chaîne. »
(Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)
Voilà un texte qui, comme souvent avec Nietzsche, incite à de nombreuses interprétations. Par exemple ici on peut le lire avec une référence socio-politique. Il peut éclairer un ressort du wokisme, dans sa tendance à une déformation paranoïaque de la perception réelle. Dans le contexte de notre démocratie, où l'égalité et la liberté sont garanties en droit (et globalement respectées en fait, même si parfois il faut déployer une certaine énergie pour revendiquer son droit), il est injustifié, irrationnel même, de parler de racisme structurel ou d'état raciste.
Mais peut être est-ce juste que l'on ressent, plus ou moins consciemment, une injonction intime à honorer la mémoire d'ancêtres esclaves, opprimés. Et l'on tend l'oreille vers le cliquetis de leur chaînes, comme porté jusqu'à soi à travers l'autre chaîne, celle des générations.
Ce qui amène à l'interprétation d'ordre psychanalytique. Ce que Friedrich décrit ici, c'est, il me semble, essentiellement la difficulté à se libérer de la prégnance du trauma.
Freud a cette formule L'hystérique souffre de réminiscences. Il la note pour la première fois dans Études sur l'hystérie, l'ouvrage co-écrit avec son ami Joseph Breuer (1896). Il la reprendra souvent par la suite dans ses essais et ses articles.
Les réminiscences en question se présentent sous forme de pensées obsédantes, et/ou de symptômes somatiques, et/ou de passages à l'acte. Et/ou d'hallucinations et autres fantasmes : comme si nous visitait un fantôme, que l'on entendrait approcher au cliquetis de sa chaîne.