« n°45 : Épicure.
Oui je suis fier de sentir le caractère d'Épicure autrement peut être, que tout autre, et de savourer dans tout ce que j'entends et lis de lui le bonheur de l'après-midi de l'Antiquité : – je vois son œil contempler une vaste mer blanchâtre, par-dessus les rochers de la côte sur lesquels repose le soleil pendant que des animaux petits et grands jouent dans sa lumière, sûrs et tranquilles comme cette lumière et cet œil lui-même.
Seul un être continuellement souffrant a pu inventer un tel bonheur, le bonheur d'un œil face auquel la mer de l'existence s'est apaisée, et qui désormais ne peut plus se rassasier de contempler sa surface et cette peau marine et chamarrée, délicate, frémissante : jamais auparavant il n'y eut telle modestie de volupté. »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Premier livre)
Jamais auparavant il n'y eut telle modestie de volupté. Auparavant je n'en sais rien, mais après, ça s'est trouvé :
« La volupté est qualité peu ambitieuse » (Montaigne Essais III,5 Sur des vers de Virgile)
Sûrs et tranquilles comme cette lumière et cet œil lui-même. Le secret, sans doute, de ce cri de joie :
« Elle est retrouvée !
Quoi ? – L'éternité
C'est la mer allée
Avec le soleil » (Arthur Rimbaud. Vers nouveaux)
Conclusion : vive l'Italie et la mer, où Nietzsche retrouva sa force de vie après une intense dépression, et même connut enfin une certaine joie de vivre en écrivant ce Gai Savoir.