« n°93 : Mais pourquoi donc écris-tu ?
A : Je ne suis pas de ceux qui pensent la plume pleine d'encre à la main ; encore moins de ceux qui, l'encrier ouvert, s'abandonnent à leurs passions, assis sur leur chaise et l'œil rivé sur le papier. Écrire provoque toujours en moi irritation ou honte ; écrire est pour moi un besoin impérieux – il me répugne d'en parler, même de manière imagée.
B : Mais alors pourquoi écris-tu ?
A : Oui, mon cher, tout à fait entre nous, jusqu'à présent, je n'ai pas encore trouvé d'autre moyen de me débarrasser de mes pensées.
B : Et pourquoi veux-tu t'en débarrasser ?
A : Pourquoi je le veux ? Est-ce donc que je le veux ? Je le dois. –
B : Assez ! Assez ! »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)
La dernière réplique de B, est-elle la marque d'une douleur, d'un insupportable peut être, à l'évocation de ces pensées inopportunes ? Et donc, oui, précisément, d'une irritation teintée de honte ?
Ou faut-il l'entendre de façon plus légère, comme le jeu avec une certaine auto-dérision.
« C'est bon, ça suffit, on a compris … Vous êtes pénibles vous les philosophes à toujours vous prendre la tête. Pour un peu je parlerais de narcissisme. Tu sais quoi : écris, c'est tout, et laisse à tes lecteurs le soin de voir ce qu'ils en pensent, de tes pensées, de voir si tu les irrites ou les réjouis. Ou même si tes élucubrations ne leur disent rien (c'est ça t'embêterait le plus, non ?) »