« n°96 : Deux orateurs.
De ces deux orateurs, l'un n'atteint à la pleine rationalité de sa cause que lorsqu'il s'abandonne à la passion : il n'y a qu'elle qui lui injecte assez de sang et de chaleur dans le cerveau pour contraindre sa haute intellectualité à se manifester.
L'autre tente la même chose çà et là : présenter sa cause en lui conférant grâce à la passion résonance, vigueur et force d'entraînement, – mais pour aboutir d'ordinaire à un résultat décevant. Il se met alors très rapidement à parler de manière très obscure et confuse, il exagère, omet certains points et suscite la méfiance envers la rationalité de sa cause : même lui éprouve cette méfiance, ce qui explique ses brusques sautes dans les accents les plus froids et les plus rebutants qui éveillent chez l'auditeur un doute quant à l'authenticité de sa passion. Chez lui, la passion submerge chaque fois l'esprit ; peut être parce qu'elle est plus forte que chez le premier.
Mais il est au sommet de sa force lorsqu'il résiste à l'assaut furieux de sa sensation et en quelque sorte se moque d'elle : c'est seulement alors que son esprit sort tout entier de sa cachette, un esprit logique, espiègle, joueur, et cependant terrible. »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)
Lequel des deux est Friedrich ? Le deuxième bien sûr.
Logique, espiègle, joueur, et cependant terrible : c'est tout lui.