« Lieux où l'on a choisi de vivre, résidences invisibles qu'on s'est construites à l'écart du temps. J'ai habité Tibur, j'y mourrai peut être, comme Hadrien dans l'île d'Achille.
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Non. Une fois de plus, j'ai revisité la Villa, et ses pavillons faits pour l'intimité et le repos, et ses vestiges d'un luxe sans faste, aussi peu impérial que possible, de riche amateur qui s'efforce d'unir les délices de l'art aux douceurs champêtres ; j'ai cherché au Panthéon la place exacte où se posa une tache de soleil un matin du 21 avril ; j'ai refait, le long des corridors du Mausolée, la route funèbre si souvent suivie par Chabrias, Celer et Diotime, amis des derniers jours.
Mais j'ai cessé de sentir de ces êtres, l'immédiate présence, de ces faits, l'actualité : ils restent proches de moi, mais révolus, ni plus ni moins que des souvenirs de ma propre vie.
Notre commerce avec autrui n'a qu'un temps ; il cesse une fois la satisfaction obtenue, la leçon sue, le service rendu, l'œuvre accomplie.
Ce que j'étais capable de dire a été dit ; ce que je pouvais apprendre a été appris.
Occupons-nous pour un temps d'autres travaux. »
(Marguerite Yourcenar. Carnets de notes de 'Mémoires d'Hadrien')
Commentaires
Yourcenar savait tourner la page, c 'est clair.
Savait ? Pouvait ? Que diriez-vous ?
Ici on dirait "pouvait" sans doute. Cependant il y a de la pertinence, je trouve, dans le fait de dire, comme en Belgique, "savoir" là où nous disons plutôt pouvoir. Au fond si l'on peut, c'est que l'on sait s'y prendre pour faire quelque chose.
Et merci, Tania, de votre lecture attentive !