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Ses croisées impitoyablement closes

« Ils ont les mains propres mais ils n'ont pas de mains. » Lapidaire sentence sartrienne sous le coup de laquelle peut tomber Érasme, peut être.

Pas de mains, au point de ne pas tout simplement tendre la main à son ancien ami Ulrich von Hutten.

Celui-ci avait épousé dès la première heure les thèses érasmiennes, mettant sa plume au service de la conciliation. Mais à un moment les excès de la papauté le firent quitter la neutralité :

« Il ne veut plus se contenter de combattre pape et papisme armé de sa seule plume, il veut aussi employer son épée. Et bien qu'écrivain latin couronné de lauriers, il abandonne la langue savante et recourt à l'allemand dans son appel aux armes pour la défense du nouvel Évangile. »

(Stefan Zweig. Érasme chap 8 La lutte pour l'indépendance)

Il se retrouve proscrit et pourchassé à la fois par l'empereur et par le pape. Sachant Érasme installé à Bâle, il vient lui demander asile.

« L'univers est alors témoin d'un pénible spectacle (…) un malade qui inspire la commisération : c'est le poète Ulrich von Hutten (…) qui passe et repasse devant la demeure de son ami d'autrefois. (…) Tel un escargot au fond de sa coquille, Érasme, le fragile vieillard, se tient assis derrière ses croisées impitoyablement closes. »

Cet épisode est sans doute celui que Zweig considère avec le plus de sévérité. Pour lui, si fidèle en amitié, cet abandon témoigne d'une scandaleuse inhumanité chez cet humaniste revendiqué.

Finalement recueilli par Zwingli, Von Hutten va mourir de maladie. Mais avant il lancera un pamphlet contre Érasme, le mettant au défi d'accorder enfin sa conscience et ses actes. En substance il lui dit : puisque Luther te paraît dangereux, combats-le vraiment.

Sauf que ton problème, ajoute-t-il, sera qu'alors « Une partie de toi-même ne se tournera pas tant contre nous que contre tes écrits d'autrefois (…) tes propres ouvrages se combattront entre eux. »

Il met ainsi Érasme devant une question qu'il a cherché à fuir : et si sa neutralité, loin de servir son idéal, en était la défaite, le masque piteux d'un renoncement ?

Et c'est ainsi que l'escargot sortira de sa coquille, le renard de sa renardière.

« Avant d'être terrassé par la mort (…) il (von Hutten) a réussi ce qu'empereur et rois, papes et évêques n'avaient pu faire avec tout leur pouvoir : le feu de ses sarcasmes a enfumé Érasme dans sa renardière. (…)

Défié publiquement, accusé devant l'univers de versatilité et de poltronnerie, il faut à présent qu'Érasme montre qu'il n'a pas peur de s'expliquer avec le plus puissant de tous les adversaires, avec Luther ; il faut qu'il adopte une couleur, qu'il prenne position. (…)

Sans joie, sans regret, il entre dans le combat qu'on lui impose. Et quand en 1524, il remet enfin à l'imprimeur l'ouvrage qu'il a écrit contre Luther, il pousse un soupir de soulagement : Alea jacta est ! »

 

Commentaires

  • Voilà qui éclaire bien votre réponse, en effet, Ariane. Merci.

  • C'est le problème de publier en "épisodes" un texte que je perçois pour ma part dans sa globalité : je ne réalise pas toujours qu'il manque parfois des clés qui ne viennent qu'ensuite ! Ou peut être est-ce inconsciemment un appel à la fidélité et à l'attention des lecteurs et lectrices ...

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