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Sur le rêve (16) Rien moins que Goethe

« Quand le rêve apparaît tangiblement absurde, quand il comprend dans son contenu une absurdité manifeste, c'est intentionnellement qu'il en est ainsi, et par son apparente négligence à l'égard de toutes les requêtes de la logique il exprime (…) contradiction, raillerie et mépris dans les pensées du rêve. »

(Sigmund Freud Sur le rêve chap 6)

 

Notre expérience de rêveurs nous fait noter toutefois que le repérage du côté intentionnel d'une absurdité n'est pas si simple. Freud voit le problème. « Et comme cette explication fournit l'objection la plus forte contre la conception qui fait surgir le rêve d'une activité spirituelle dissociée et dépourvue de critique, j'y insisterai par le moyen d'un exemple. »

Suivent le récit et l'analyse d'un autre de ses rêves dont le sujet est le suivant :

« Une de mes connaissances, Monsieur M., a été attaqué par rien de moins que Goethe dans un article, avec une violence qui, à notre avis unanime, est injustifiée. »

« J'essaie de m'expliquer les rapports chronologiques, qui me paraissent quelque peu invraisemblables. » Le rêveur calcule : d'après la date de mort de Goethe (1832) et celle de naissance de l'ami, on aurait un vieux Goethe, archi célèbre et reconnu, déployant une violence critique parce qu'il se sent menacé par un jeune homme de 18 ans au maximum.

En plus « je ne sais pas avec certitude en quelle année nous sommes présentement et tout le calcul s'enfonce dans l'obscurité. »

Double invraisemblance, double incertitude, chronologique et psychologique. D'autant que « ce Monsieur M. est un jeune commerçant bien éloigné de toute espèce d'intérêt pour la poésie et la littérature. »

L'« absurdité criante » de ce rêve ne peut qu'inciter à une analyse circonstanciée de ses éléments. Elle aboutit à ces remarques :

« Je voudrais dire et redire ici qu'aucun rêve ne procède de mises en mouvement autres qu'égoïstes. Le sujet qui dit Je dans le rêve n'y est pas uniquement à la place de mon ami, mais aussi à ma propre place. Je m'identifie à lui parce que le destin de sa découverte* me paraît exemplaire de l'accueil fait à mes propres découvertes. »

Freud note que son inconscient se comporte comme des étudiants effrontés et frondeurs. Dans le rêve « mon ami se vante d'avoir déclenché un gros chahut destiné à l'élimination d'un vieux professeur (…) devenu incapable d'enseigner du fait d'une débilité sénile ».

Freud rappelle souvent que sa théorie de la psyché (en particulier à propos de son volet sexuel) a fait du bruit, déclenché un gros chahut dans le monde universitaire et même l'opinion publique. Rappelle … ou s'en vante un peu exagérément ?

« Les pensées du rêve disent ironiquement : 'Naturellement qu'il est fou, que c'est un bouffon, et vous, vous êtes des génies plus malins. Mais est-ce que ça ne devrait pas être l'inverse ?' - Or, cette inversion est généreusement représentée dans le rêve, dès lors que c'est Goethe qui a agressé le jeune homme, ce qui est absurde, alors qu'un tout jeune homme pourrait sans problème aujourd'hui encore agresser le grand Goethe. »

Ainsi dans le rêve Freud, rattrapé par sa lucidité, raille (gentiment) sa pente mégalomane : convoquer la figure du grand Goethe pour ratifier l'importance géniale de tes théories, c'est un peu too much, non, Sigmund ?

 

*L'ami en question, dans le rêve sous l'identité de Monsieur M. jeune commerçant, est Wilhem Fliess, qui produisit des théories assez étranges cf le titre de l'ouvrage critiqué (censément par Goethe donc) Les relations entre le nez et les organes génitaux féminins, présentées selon leurs significations biologiques.

Néanmoins (si j'ose dire) Fliess, tout perché qu'il fût, sera pour Freud un interlocuteur stimulant dans ses recherches, on le voit dans leur correspondance, publiée sous le titre La naissance de la psychanalyse.

 

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