Freud aborde ensuite ce qu'il appelle l'élaboration secondaire.
« Sa prestation consiste à mettre en ordre les différents composants du rêve de telle sorte qu'ils s'aboutent à peu près en un ensemble cohérent. Le rêve reçoit ainsi une sorte de façade qui certes ne recouvre pas son contenu dans toutes ses localisations. »
(Sigmund Freud Sur le rêve chap 7)
Cette mise en ordre est, à l'intérieur-même du rêve, une tentative du rêveur de se donner « une première interprétation provisoire ». Une interprétation bâclée « en faisant, comme on dit, de tous les cinq un nombre pair, (qui) ne délivre d'ailleurs rien d'autre qu'une éclatante incompréhension des pensées du rêve ».
Mais Freud (on le reconnaît bien là) ne se laisse pas abuser par cette grossière exhibition de cohérence qui revient à dire : circulez, il n'y a (plus) rien à interpréter.
« Quand nous nous attaquons à l'analyse du rêve il faut d'abord nous affranchir de cette tentative d'interprétation. »
Mais qu'est-ce qui peut motiver le rêveur à livrer ainsi un pack « rêve + interprétation » ? Surtout une interprétation que sa cohérence rend forcément terne. On la dirait faite exprès pour décourager la vis analytica : « bof si c'est pas plus marrant ou croustillant, à quoi bon tenter de se souvenir de ses rêves pour les interpréter ? »
« Mais l'on s'égarerait si l'on ne voulait rien voir d'autre dans ces façades oniriques que (le travail réalisé) par l'instance consciente de notre vie psychique. Pour la construction de la façade du rêve il n'est pas rare que soient utilisées des représentations imaginaires de choses désirées qui se trouvent déjà formées à l'avance dans les pensées du rêve et qui sont de la même espèce que celles que nous connaissons de la vie à l'état de veille et qu'on appelle à juste titre ''rêves diurnes''. »
Je souligne au passage l'insistance sur cet apparent oxymore rêves diurnes. Elle se rapporte à l'enjeu fondamental de la théorisation freudienne : montrer la porosité dans le psychisme entre vie rêvée et vie éveillée, et de même entre normal et pathologique. Toute façade, tout mur élevé pour maintenir un apartheid entre les deux séries de domaines ne pourra que s'écrouler dans le travail d'analyse.
Quant aux rêves à proprement parler, rêves nocturnes, « (Leurs) productions imaginaires (…) s'avèrent souvent n'être que répétitions et réélaborations de scènes de l'enfance ; la façade onirique nous montre ainsi immédiatement, dans bien des rêves, le noyau proprement dit du rêve tel qu'il a été défiguré par le mélange avec un matériau différent. »
Bref « le travail du rêve n'est pas créateur, il ne développe aucune production imaginaire qui lui soit propre » et se contente de « condenser (cf 9,10,11), déplacer (cf 12) et réélaborer le matériau dans la perspective de la visibilité (cf 13,14,15) à quoi vient encore s'ajouter l'ultime et infime variable d'un travail d'interprétation » qui rapetasse tout ça pour construire la façade du rêve.
Cette construction, insiste Freud, est en fait une re-construction (cf 15 re-production) : une façade en trompe l'œil, « (copiant) le plus fidèlement du monde la littéralité (des propos utilisés par les pensées du rêve), tout en laissant à l'écart ce qui en a été l'occasion et en changeant leur sens de la façon la plus violente qui soit. »
Et il termine le chapitre 7 par des exemples pour « soutenir ces dernières affirmations. »
Je ne les reprends pas car ils valent par le détail de l'analyse, dont l'exposé rallongerait trop cette série déjà longue (mais c'est l'occasion, lecteur, d'aller voir le texte de Freud).
Commentaires
Le travail du rêve n'est pas créateur : la suite de la phrase l'explique. Cependant, j'ai un doute. Je me souviens d'avoir rêvé l'une ou l'autre fois d'un mot, qui me hantait au réveil, et dont je suis allée chercher la signification dans le dictionnaire. Serait-ce que je l'avais déjà lu ou entendu sans m'y arrêter ?
C'est fort probable, en effet. Si bien que cela fait de ce mot, un "matériau", comme dit Freud, tout indiqué pour le déroulement du fil des associations. Matériau d'autant plus riche que ce mot était oublié, et sa signification nous est d'abord énigmatique.