« Roman.
-Je suis obligé de reconnaître que j'ai de graves défauts, dit Bernard. (personnage de La Mort heureuse) Par exemple, je suis menteur.
-?
-Oh! je sais bien. Il y a des défauts qu'on n'avoue jamais. D'autres qu'il ne coûte rien de se reconnaître. Avec le ton de la fausse humilité bien sûr ! ''C'est vrai, je suis colère, je suis gourmand.'' Dans un sens, ça les flatte. Mais être menteur, vaniteux, envieux, ça ne s'avoue pas. Ce sont les autres qui le sont. Et d'ailleurs, à avouer ses colères, on évite de parler du reste. À quelqu'un qui s'accuse spontanément, vous n'allez pas chercher d'autres défauts, n'est-ce pas ?
Moi, je n'ai pas de mérite. Je me suis accepté moi-même. De là que tout soit si simple. »
(Camus Carnets juin 1938)
Malgré sa jeunesse, Camus fait preuve ici de sa connaissance de la psychologie humaine. Je dis malgré sa jeunesse, mais non : en fait le temps ne fait rien à l'affaire. C'est une question d'aptitude à observer, à entendre, à décoder, que certains possèdent très jeunes, et dont d'autres seront incapables toute leur vie.
La dernière phrase complète une idée notée plus haut : ça commence à me passer d'être sensible à l'opinion (cf Vraiment oui). S'accepter soi-même simplifie, au sens propre : pas besoin de se dédoubler pour offrir aux autres une image de soi que l'on veut plus flatteuse, en tout cas plus adaptée à leurs critères (supposés) de jugement.
C'est simple est une expression que j'aime toujours entendre. Ex : La panne a une cause simple, on va réparer ça facilement. Quant aux gens simples, ceux qui sont là comme ils sont, sans chercher à frimer, à en mettre plein la vue, ils sont bienfaisants, leur présence, leur attitude, procure détente et calme, allège et éclaire. La simplicité simplifie.
« La tentation commune à toutes les intelligences : le cynisme. » (juin 1938)
Voilà qui est très juste aussi. Il dit toutes les intelligences, toutes les façons de comprendre le jeu social. Il y a l'intelligence du cynisme froid, détaché, celui qui fait les manipulateurs voire les sociopathes. Et il y a le cynisme symétrique de ceux qui ont peur, à l'inverse, d'être dupes, d'être manipulés.
Et puis il y a le cynisme réactionnel, paradoxal, de ceux qui ont honte de leur douceur, de leur sentimentalité, alors ils luttent contre leur empathie spontanée à l'égard d'autrui. Et sans doute bien d'autres déclinaisons.
« Misère et grandeur de ce monde : il n'offre point de vérités mais des amours.
L'Absurdité règne et l'amour en sauve. » (juin 38)
Majuscule pour l'absurdité, pas pour l'amour. L'absurdité est d'ordre totalitaire. Du moment qu'il y a de l'absurdité, elle est nécessairement partout. C'est pourquoi l'amour ne peut la nier. Il en sauve et non pas : il y fait échapper. La seule force de l'amour est de se maintenir au cœur même de l'absurde.