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Les signes de l'absurde événement

« Septembre 39. La guerre.

Les gens qui se font opérer d'urgence par un médecin réputé d'Alger parce qu'ils ont peur qu'il soit mobilisé ». (Camus Carnets)

 

« Dans le tram : ''La Pologne, elle se laisse pas faire''

''Le pacte 'anti-comertin', il existe plus.''

''Hitler, si on lui donne le petit doigt, il faudra bientôt tomber le pantalon.''

Au marché : -Vous savez, samedi, c'est la réponse.

-Quelle réponse ?

-La réponse de Hitler.

-Et alors ?

-Alors on saura si c'est la guerre.

-Si c'est pas malheureux !

À la gare, des réservistes giflent les employés : ''Embusqués !'' »

 

Les mots simples des gens simples. Et, par cette simplicité-même, non dépourvus d'efficacité pour ce qu'on appelle aujourd'hui la résilience. Anti-comertin : grâce à cette déformation, le mot se fait ridicule, comme si on dépouillait l'ennemi de son uniforme pour l'affubler d'un vieux vêtement avachi, les sonorités gutturales s'amollissent. Et ainsi le pacte anti-komintern entre l'Allemagne nazie et le Japon impérial est déchu de l'épique guerrier : au fond, tout ça c'est jamais que des magouilles entre puissants sur le dos des pauvres gens, on en a vu d'autres ...

Mais devant la guerre, viennent aussi la peur, la fragilité, si bien que faute de pouvoir s'en prendre au destin implacable de logique aveugle (cf note précédente), ou à Hitler pareillement insondable et si loin, on s'en prend à ceux qui sont là, dans la même peur, la même fragilité. Et ce sont elles que l'on gifle sur le miroir que nous tend leur visage.

 

« La guerre a éclaté. Où est la guerre ? En dehors des nouvelles qu'il faut croire et des affiches qu'il faut lire, où trouver les signes de l'absurde événement ? Elle n'est pas dans ce ciel bleu sur la mer bleue, dans ces crissements de cigales, dans les cyprès des collines. Ce n'est pas ce jeune bondissement de lumière dans les rues d'Alger.

On veut y croire. On cherche son visage et elle se refuse à nous. Le monde seul est roi et ses visages magnifiques.

Avoir vécu dans la haine de cette bête, l'avoir devant soi et ne pas savoir la reconnaître. Si peu de choses ont changé. Plus tard, sans doute, viendront la boue, le sang et l'immense écoeurement. Mais pour aujourd'hui on éprouve que le commencement des guerres est semblable aux débuts de la paix : le monde et le cœur les ignorent.»

« … Se souvenir des premiers jours d'une guerre aussi probablement désastreuse, comme des jours d'un bonheur prodigieux, singulier et instructif destin … Je cherche à légitimer ma révolte que, jusqu'ici, rien, dans les faits, n'est venu fonder. »

Grande authenticité dans ces lignes, au plus près de l'expérience réelle, de l'exactitude des sensations et des sentiments. Sans chercher à faire semblant, se surprendre à ne pas éprouver la désolation attendue.

Une authenticité, une surprise, qui condamnent bien mieux que toutes les considérations morales l'absurdité de la guerre, ce suicide collectif.

 

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