Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

C'est l'hiver que ce sera triste

« On exagère toujours l'importance de la vie individuelle. Tant de gens ne savent qu'en faire qu'il n'est pas absolument immoral de les en priver. D'autre part, tout prend une valeur nouvelle. Mais cela a déjà été dit.

L'absurdité essentielle de cette catastrophe ne change rien à ce qu'elle est. Elle généralise l'absurdité un peu plus essentielle de la vie. Elle la rend plus immédiate et plus pertinente. Si cette guerre peut avoir un effet sur l'homme, c'est de le fortifier dans l'idée qu'il se fait de son existence et dans le jugement qu'il porte sur elle. Dès l'instant où cette guerre ''est'', tout jugement qui ne peut l'intégrer est faux.

Un homme qui réfléchit passe généralement son temps à adapter l'idée qu'il a formée des choses aux faits nouveaux qui la démentent. C'est dans cette inclinaison, cette gauchissure de la pensée, dans cette correction consciente, que réside la vérité, c'est à dire l'enseignement d'une vie.

C'est pourquoi, si ignoble que soit cette guerre, il n'est pas permis d'être en dehors. Pour moi naturellement, et d'abord – qui puis risquer ma vie en pariant pour la mort sans une crainte. Et pour tous ceux anonymes et résignés, qui vont vers cette tuerie inexcusable – et dont je sens toute la fraternité. »

(Camus Carnets septembre 39)

 

La vie individuelle, tant de gens ne savent qu'en faire qu'il n'est pas absolument immoral de les en priver. Dans cette phrase assez provocante on perçoit un aspect qu'on peut qualifier d'aristocratique dans la morale de Camus. Une aristocratie des gens capables d'assumer la liberté et l'autonomie individuelle. Quand on voit tant de gens suspendus aux injonctions au conformisme, remettant leur précieuse aptitude à la vie individuelle (qui repose avant tout sur une pensée personnelle) au premier venu des influenceurs qui, lui, a un tiroir-caisse à la place du cerveau, et un autre à la place du cœur …

Mais précisément : cette vie sous influence, logarithmée, pavlovisée, c'est bien au contraire quelque chose d'absolument immoral.

En fait, pour Camus qui ne vivait pas dans notre monde résasocialisé, cette phrase traduit surtout son désarroi devant l'absurdité essentielle de cette catastrophe, l'emprisonnement dans une vie en mode guerre. L'absurdité, cette chose impossible à éviter (cf. De là que tout soit si simple) :

Dès l'instant où cette guerre ''est'', tout jugement qui ne peut l'intégrer est faux.

Une intégration qui lui fait retrouver, après son moment cynique de mépris aristocratique, le fondamental de sa morale, la fraternité. Fraternité ici pour tous ceux anonymes et résignés, qui vont vers cette tuerie inexcusable.

 

« Un vent froid entre par la fenêtre.

Maman : -Le temps commence à changer.

-Oui.

-Est-ce qu'on va garder l'éclairage réduit pendant toute la guerre ?

-Oui, probablement.

-C'est l'hiver que ce sera triste.

-Oui. »

 

 

Commentaires

  • "Un homme qui réfléchit passe généralement son temps à adapter l'idée qu'il a formée des choses aux faits nouveaux qui la démentent."
    La pensée toujours en formation et qui bute sur l'impensable.

  • Oui telle est la question : comment vraiment "penser" l'impensable ? Cela a été la question de Camus, et de bien d'autres avant lui. Elle nous est posée, à affronter dans le travail de vérité qu'il définit en effet très bien.

Les commentaires sont fermés.