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  • Gré et degrés

    « C'est au créateur, au moissonneur, à celui qui célèbre des fêtes que je veux me joindre : c'est l'arc-en-ciel que je veux leur montrer et toutes les marches qui mènent au surhumain. » (Ainsi parlait Z Prologue 9)

     

    Je ne sais pas pour vous, mais pour moi il y a quelque chose qui ne colle pas dans l'interprétation de Monsieur Z à propos de l'arc-en-ciel. Une chose qui tient dans le mot de marches (ou degrés ou échelons). Je me demande si Nietzsche ne raboudine pas ici en une seule deux images bibliques : l'arc-en-ciel post diluvien en fondu-enchaîné avec l'échelle de Jacob. Jacob fait un joli rêve en passant par Genèse chap 28 v.12. Il voit une échelle reliant le ciel et la terre, avec un essaim d'anges buzzant dessus comme des abeilles sur leur rayon de miel. Jacob c'est le petit malin qui, en échange d'un plat de lentilles, a piqué à son frère Esaü le droit d'aînesse assorti de la bénédiction du papa Isaac. Je ne sais pas si les lentilles étaient bonnes, mais l'histoire est assez croustillante dans le genre rivalité mimétique de deux frères et chouchoutage du petit dernier par Maman tandis que Papa y voit que dalle (Isaac est vieux et aveugle au moment des faits). Une rivalité qui obligera Jacob à fuir pour sauver sa vie le temps qu'Esaü digère le coup des lentilles. Une rivalité qui prolonge la tragédie initiale de Caïn et Abel. C'est comme ça, dans le livre de la Genèse côté relations fraternelles harmonieuses on repassera, quand ça veut pas ça veut pas.

    Bref une échelle a des marches ou échelons, et on peut admettre qu'il y a une sorte de progression lorsqu'on part de l'échelon du bas pour arriver à celui d'en haut. (On peut admettre, mais je pense qu'on peut interpréter aussi tout autrement le rêve de Jacob que dans ce style plan de carrière en entreprise, ou je m'voyais déjà de la chanson d'Aznavour).

    En tous cas il est clair qu'un arc-en-ciel n'a pas ce genre de marches. L'échelle qu'il déploie n'est pas faite de marches hiérarchisées. Au contraire dans l'arc-en-ciel les différents tons n'existent que par leur simultanéité. Lorsque la lumière se diffracte, elle déploie toujours toutes les couleurs à la fois dans son prisme. Ce n'est pas on installe d'abord le rouge puis on passe à l'étage au-dessus avec l'orange etc. Et d'ailleurs, échelle ? Plutôt un pont, car si l'arc-en-ciel décolle de terre, c'est pour y revenir en construisant son demi-cercle. Par conséquent si Nietzsche entendait utiliser l'arc-en-ciel comme image d'un chemin d'ascèse et de perfectionnement, voire comme symbole d'initiation un tantinet gnostique, ce n'était pas un bon choix. Auquel cas c'est rassurant même les génies ont leurs faiblesses.

    Mais je me demande si en fait, comme pour l'Océan et le fleuve (cf note du 12-11), cette image n'est pas plutôt là pour dire : surhumain n'est pas humain ++ mais déploiement, diffraction de tout l'humain. Il est possible que ce ne soit pas tout à fait ce que Nietzsche ait voulu dire, mais c'est ce qu'il a laissé dire à ses mots.

     

    En tous cas la conclusion sera : à bas les degrés, vive le (bon) gré.

  • Noé

    « C'est au créateur, au moissonneur, à celui qui célèbre des fêtes que je veux me joindre : c'est l'arc-en-ciel que je veux leur montrer et toutes les marches qui mènent au surhumain. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra Prologue 9)

     

    Côté saga mythique la Genèse ça assure, avec Noé, le Déluge, l'Arche, 40 jours 40 nuits tout ça. Y a de quoi faire. Mais centrons-nous pour l'heure sur l'arc-en-ciel dont cause ici Zarathoustra. Il constitue la happy end de l'épisode Déluge.

    « Mon arc à la nuée je l'ai donné, il est le signe du pacte entre moi et la terre (…) quand l'arc se verra dans la nuée, je me souviendrai du pacte entre moi, vous et tout être vivant en toute chair ». (Genèse 9,13-15 trad A.Chouraqui)

     

    Que vient signaler l'arc-en-ciel ? Une radicale modification de l'attitude de l'instigateur du Déluge. Le but avoué de cette intempérie était une sorte de purification de l'humanité, non ethnique mais éthique (Genèse 6). Détruire les salauds, garder les justes pour repartir sur de bonnes bases. Comme juste paraît qu'y avait que Noé (nous ignorons encore à ce jour les critères exacts du concours). Quand le Déluge est fini on peut admettre que Noé est au moins aussi juste qu'avant. Ou alors on nous a pas tout dit mais songeons que la responsabilité du nouveau départ de l'humanité est un bon garde-fou contre les conneries - on laisse tomber l'histoire de sa cuite (Gen 9, 21) y a pas eu mort d'homme. Donc on peut penser : un juste ne pourra, par sa nature de juste, que refonder la multinationale humanité en justice. D'où la question : pourquoi cette histoire de pacte arc-en-ciel en plus ?

     

    Ce que le Déluge produit, ce n'est pas la justice de l'humanité. Noé ou pas, l'humanité continuera ses conneries suicidaires, on est bien placé pour le savoir. Donc Elohim qui n'est pas stupide non plus se doute que cette histoire de Déluge est un coup d'épée dans l'eau. Ces indécrottables humains sont résistants au changement. Alors Elohim prend les choses dans l'autre sens, c'est lui qui décide de changer. Ainsi ce que le Déluge produit n'est pas la justice de l'humanité, mais une nouvelle option divine que nous nommerons « bienveillance inconditionnelle pour la création ». « Mon arc à la nuée je l'ai donné » je raccroche l'arc, je rends les armes. J'arrête ma carrière de justicier transcendant, je ne tuerai plus personne même pour de bonnes raisons, désormais que la terre et les vivants se gèrent et vogue la galère. A la place j'entame une carrière artistique. Jolies couleurs, non ?

     

    C'est vrai. Quoi de plus beau qu'un arc-en-ciel ?

    Quant à la manière dont Nietzsche se saisit de cette image, nous y réfléchirons la prochaine fois.

     

     

     

  • Tais-toi et nage

    « L'homme est quelque chose qui doit être surmonté. »

    Ainsi parlait Zarathoustra (De la guerre et des guerriers)

    « Le surhumain est le sens de la terre. Que votre volonté dise : que le surhumain soit le sens de la terre ! » (Prologue 3)

    « En vérité, l'homme est un fleuve malpropre. Il faut être un océan pour pouvoir recueillir un fleuve malpropre sans se salir soi-même.

    Voyez, je vous enseigne le surhumain : c'est lui, cet océan, en lui peut s'abîmer votre grand mépris» (Ibidem)

     

    Devant la notion de surhumain (übermensch), je ne suis que perplexité. On me dira tuyaute-toi auprès des gens qui savent, qui ont étudié le concept, son historique, ses tenants et aboutissants. On me dira va faire ton marché parmi les interprétations hasardées, y compris les hasardeuses. Oui, mais n'ayant rien à gagner ni personne à vaincre ou convaincre, je peux me payer le luxe d'essayer juste de voir ce que ça me dit. N'étant prêcheuse (prêcheresse?) d'aucun arrière-monde, je peux aborder la notion de surhumain sans arrière-pensée. Je pense donc tout court et tant pis si c'est un peu court (voilà que je paraphrase l'ami Cyrano). N'empêche toutes ces précautions & tournages autour du pot prouvent bien ma gêne. Vous savez quoi je me dis qu'il y a là pour moi du tabou dans l'air. Oui tiens y a de ça, la notion de surhumain c'est comme qui dirait de Zarathoustra le totem et le tabou à la fois.

     

    Surmonter l'homme ? S'il faut entendre par là trouver moyen de dépasser les réflexes dont on dit « c'est humain », du genre égoïsme forcené, d'abord ma pomme et tant pis si le bien commun en souffre un peu ou beaucoup, je souscris. Si surmonter l'homme c'est tenter de concevoir un autre mode d'être humain que l'exploitation et le mépris de l'homme par l'homme, je dis OK surmontons. Qu'il y faille une certaine volonté, une certaine résolution de se libérer, d'accord. Le tout est de prendre pour ce faire les bons chemins, et par exemple saisir la main aussi sûre que douce de Spinoza.

    Et que l'homme soit un fleuve malpropre, ma foi j'ai assez vécu pour savoir qu'il y a bien un peu de ça, même s'il n'y a pas que ça. C'est bien la vraie question de recueillir ce fleuve malpropre : autrement dit voir qu'on n'est pas fait que d'amour et d'eau fraîche mais ne pas jeter pour autant le bébé avec l'eau du bain (à la métaphore aquatique comme à la métaphore aquatique).

    Un océan c'est beaucoup plus de m3 qu'un fleuve. Le surhumain dans cette phrase j'y vois un concept en extension. Non pas un homme-plus, une élévation personnelle de chaque homme, ou pas seulement, mais surtout un homme-plusieurs, un élargissement du regard vers l'ensemble divers des hommes. Ce qui ouvre la possibilité que les saloperies des uns se diluent dans la bonté, la droiture des autres.

     

    Car le plus clair de l'histoire c'est qu'on est tous embarqués dans la même galère et qu'il faut bien ramer au mieux sous peine de couler.