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  • L'Albatros ça l'fait trop

    À l'attention de Mme S. de Beauvoir (mais les autres vous avez le droit de lire) : « Chère Maman Simone, ne croyez pas que je snobe votre proposition de parler du Deuxième sexe. Mais là voyez j'ai besoin de vacances et c'est pas vous faire injure que dire que votre bouquin n'est pas franchement un de ces romans de gare qu'on lit sur la plage. Ce sera donc pour la rentrée. Peut être. Voilà. À plus tard. Ciao bisous. »

    Bon, ça s'est fait. Alors vacances on a dit, car

     

    Souvent un peu blasée lectrice de mes pages

    Je les trouve pas top. Des mots pas best-seller,

    Pas le moindre verlan et encor moins d'images :

    C'est carrément lassant on est loin du thriller.

     

    J'en suis bien déconfite et sur la page blanche,

    Lorsque mon gribouillis frôle le cafardeux,

    (Étonnamment semblable à un temps d'Outre Manche),

    Pour fuir le fastidieux fais ni une ni deux.

     

    Plutôt que de squatter un plateau de scrabble

    Pourquoi pas pasticher sans le moindre fair play

    Un poète génial ? Que personne m'engueule

    Car à qui fais-je mal par mes jeux de mots laids ?

     

    Ben oui, à personne il me semble. Et quant à cet hommage au grand Charlie Bod, il est des plus sincères. Son albatros m'a toujours fait planer. Il y va, il ose, même pas peur d'en faire too much. Caractéristique bien partagée par les autres romantiques. Ça me rappelle un devoir en khâgne où il fallait commenter la phrase d'un critique qui débinait Hugo comme quoi il n'avait pas le sens du ridicule, et que c'était dommage pour un poète de son standing. A l'appui de cette affirmation, des vers de La Légende des Siècles que j'ai oubliés maintenant. Mais je me souviens que je leur avais trouvé un souffle certain, contrairement à la démonstration poussive du critique grincheux. Je m'étais fait la réflexion que ce mec c'était rien qu'un jaloux, et que le ridicule n'est pas toujours où l'on croit. (Sans oser pourtant l'écrire dans mon devoir : j'avais trop peur que le prof le prenne pour lui.)

     

    Bref vacances. Écrire n'importe quoi comme ça vient.

     

    L'Ariane est sans gag sujette à s'ennuyer,

    Qui quante ça l'embête a vit' fait de lâcher,

    Egayée c'est du bol au jeu d'azertyuer,

    Chez elle déjanter marrant c'est pas pécher.

     

  • Perdrêtre

    L'identification mène donc à tout, mais à condition d'en sortir. En effet une identification produit tôt ou tard de l'inhibition, c'est bien le mot. Car elle assigne à une essence unique, à une clôture. Sa tendance est donc l'involution. Ce n'est que lorsqu'elle se relâche que peut s'ouvrir le processus d'évolution, l'entrée dans un chemin dont les relations aux divers objets sont les jalons. « Je l'ai c'est à dire je ne le suis pas. »

    Je ne serai qui je serai qu'à partir de ce que j'aurai admis ne pas être, ne plus être. « A partir de » au deux sens à la fois : en m'en servant comme matériau, et en maintenant entre nous une distance, un écart.

     

    Oui mais après ? Si jamais il arrive que je le perde, l'objet, que je ne l'aie plus du tout ? Disons plutôt « quand », car cela arrive toujours tôt ou tard. Alors se repose la question de ce que je suis, et comment l'être. C'est exactement la question du deuil, de la multitude des deuils qui jalonnent le parcours d'une vie : « J'ai eu, j'ai plus. J'étais avec ce que j'avais, comment être sans ? »

    La première chose que produit la perte, c'est précisément la retombée dans l'être (être l'objet). Le fait de revenir à une forme d'identification à l'objet. L'objet perdu, si bien qu'il arrive de rester identifié à la perte elle-même (voir Deuil et Mélancolie dont j'ai déjà parlé plusieurs fois).

     

    Le pas décisif d'assurance dans l'être ne se franchit que par le passage de perdu à « perdable ». Lorsque la perte cesse d'être vue comme un accident. Au sens de drame qui bouleverse le rapport au monde jusqu'à le rendre impossible. Mais aussi au sens (aristotélicien) d'accident opposé à essence. Il s'agit de considérer la perte, la perdabilité plus exactement, en tant que paramètre constitutif de tout ce qui est. Parlêtre selon Lacan, l'humain selon Freud est aussi un perdrêtre. (Les deux vont ensemble en fait).

     

    Pour le fun, revenons maintenant au début de la note de Freud. Il nous présente une femme qui retombe dans l'identification (en plus à ce machin dérisoire), telle la relapse dans son hérésie, tel l'enfant immature. Et pourquoi donc cette chute ? Parce qu'elle chercherait à échapper à l'envie de pénis, l'objet que jamais elle n'aura. Questions : pourquoi que le pénis elle voudrait l'avoir ? Et pourquoi que quand elle comprend que décidément elle l'aura jamais, ça lui ferait un tel choc, un deuil propice à toutes les infortunes névrotiques ? Serait-il un objet si « pas comme les autres » que ça ?

     

    « - C'est bien ma fille, bonnes questions. Tu sais que j'y réponds dans mon bouquin ?

    - Bien sûr Maman Simone, comment ne pas vous lire quand on est femme ?

    - Oh je suis pas sûre qu'on me lise encore tant que ça ... Moins que ce phallocentré de Freud je parie, ou même ce tchatcheur de Lacan, c'est tout dire. Au fait tu pourrais pas faire quelques notes sur moi un de ces jours ? »  

  • "Je ne le suis pas"

    «« Comme substitut à l'envie de pénis, identification avec le clitoris, la plus belle expression de l'infériorité, source de toutes les inhibitions.

    - Avoir et être chez l'enfant. L'enfant aime bien exprimer la relation d'objet par l'identification : je suis l'objet. L'avoir est la relation ultérieure, retombe dans l'être après la perte d'objet. Modèle : sein. Le sein est un morceau de moi, je suis le sein. Plus tard seulement : je l'ai, c'est à dire je ne le suis pas... »

    (Résultats Idées Problèmes 12-7 1938)

     

    Allez, malgré mon déficit éthique proprement féminin, l'honnêteté m'oblige à replacer la phrase précédente dans son contexte, une réflexion dont elle ne constitue que le point de départ. La question porte sur le processus-même de l'identification. Le mouvement qui nous fait nous identifier, vouloir ou penser être (comme) quelque chose ou quelqu'un, Freud le définit dans l'alternative logique être/avoir. Mais ce binôme banal ne s'y présente pas tout à fait comme on y est habitué.

     

    La plupart du temps en effet il est admis qu'être c'est mieux qu'avoir. Plus « vrai », plus « essentiel ». Avoir porte en filigrane la figure de l'avaricieux qui capitalise, ou du vaniteux qui frime en exhibant ce qu'il a, voire qu'il en a. Être impliquerait de se détacher du désir d'emprise, de cultiver des valeurs intérieures, personnelles, spirituelles. On a des choses inessentielles, on est essentiellement soi. Or ici, non.

     

    Être (vraiment soi) passe bel et bien par avoir. Car avoir est une des façons d'appréhender qu'il y a de l'autre que soi. Mais ceci seulement après avoir été (et tété le plus souvent) une première chose-autre, qu'on croyait soi mais qui l'était pas. Enfantin, non ? De ce point de vue, avoir est un progrès par rapport à être, par rapport à la façon d'être du premier temps.

    Autrement dit le sujet n'est jamais là d'emblée, il n'existe qu'en s'extirpant d'un « tout » indifférencié. Le sujet est de mode relatif et de second temps. Personne ne porte le dossard n°1.

     

    « - C'est quoi encore cette métaphore pourrie, de la démagogie envers tes lecteurs masculins ? Bel exemple d'aliénation. Reprends-toi ma fille !

    - Euh oui Maman Simone vous avez raison. Et si je dis : il n'y a pas de 1er temps dans cette triade hégélienne, ça passe mieux ?

    - Ah non Hegel ça me file la nausée … Tu peux dire bien des choses en somme, par exemple tiens : l'existence précède l'essence. Et là tout le monde comprend fais-moi confiance.

    - Oui. Bon. Mais la citation de Freud il faut encore creuser un peu, non ?

    - Tu le fais la prochaine fois. Laisse-leur le temps de souffler.

    - OK. Je siffle la fin de la première mi-temps … Quoi, qu'est-ce que j'ai dit ? »