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  • "La plus belle expression de l'infériorité"

    « Comme substitut à l'envie de pénis, identification avec le clitoris, la plus belle expression de l'infériorité, source de toutes les inhibitions. »

    (Résultats Idées Problèmes 12-7 1938)

     

    « Expression de l'infériorité » : chiche ! Une inférieure s'exprime ici même, Monsieur Freud. Une inhibée de source sûre. Et vous savez ce qu'elle vous dit ? Non pas d'inquiétude, lecteur, tout ceci va rester très courtois, je sais me tenir, le surmoi n'est pas fait pour les chiens. Bien que le nôtre soit plus faiblard paraît-il les filles. La preuve : meurtres, tortures, viols et violences en tous genres sont massivement le fait des femmes c'est bien connu.

     

    Mais revenons à infériorité. Qu'est-ce à dire ? Qu'est-ce qui est inférieur au juste dans cette histoire ?

    1 Le clitoris soi-même ? Un machin qui serait un pénis de pauvre pour sexe faible ? Atrophié, stoppé dans son développement, inhibé en un sens donc inhibant CQFD ? Tu déconnes, là, Sigmund ?

     

    2 La femme ? Qui serait inférieure le plus « naturellement » du monde, pauvre petite chose, car porteuse d'un clitoris non moins petite chose ? Une infériorité ontologico-biologique : élémentaire, Dr Freud ?

     

    3 L'identification au clitoris ? Qui serait l'expression d'une infériorité quasi éthique. Ces bonnes femmes c'est tricheuses et compagnie. Elles investissent dans le clitoris comme substitut à l'envie de pénis. Comme se rabattre sur la contrefaçon parce qu'elles n'ont pas les moyens de se payer de la marque. Parce qu'elles ne « le » valent pas : le phallus, what else ?

     

    Bref le plus clair résultat d'idées de ce genre c'est de poser des problèmes inutiles. Mon cher Sigmund on dirait que vous prenez un malin plaisir à chercher les embrouilles. A moins que ce ne soit de l'humour ? Un private joke dans ces notes entre vous et vous ? Un petit moment d'autocaricature, style « je me les sers moi-même avec assez de verve » ?

     

    Quoi qu'il en soit, à une énormité d'aussi belle taille, façon c'est un roc un pic un cap et ce qui s'ensuit, comment réagir autrement que par un éclat de rire ?

     

    Eh oui c'est comme ça, Papa Sigmund, une femme est ou bien hystérique ou bien fofolle. Ou les deux.

     

     

  • Neurotic park

    « Avec le névrosé on est comme dans un paysage préhistorique, par exemple au jurassique. Les grands sauriens s'ébattent encore, et les prêles sont hautes comme des palmiers (?). »

    (Résultats, idées, problèmes. 12-7 1938)

     

    Le point d'interrogation est de Freud. Trace d'un doute. Sur quoi ? Le fait qu'il y ait des prêles au jurassique ? Ou des palmiers ? Pour moi ce point d'interrogation signifie « je m'étonnerai toujours : où vais-je chercher tout ça ? ». Mais dans votre ça, Papa Sigmund, où voulez-vous donc ? Car le ça, vous nous l'avez assez seriné, c'est comme à la Samaritaine on y trouve tout. Chacun y cherche son chat ou quoi que ce soit. Alors des dinosaures pourquoi pas ?

    En tous cas quelle image ! Est-elle auparavant dans un autre écrit, je ne crois pas. C'est le côté condensation, noté vite fait, de Résidépro qui a pu induire cette cristallisation métaphorique spectaculaire. Cinématographique disons même, pour notre imaginaire post-spielbergien. Freud met sous nos yeux avec ce paysage jurassique une idée maintes fois formulée, assénée (dirait certain) : la névrose puise son ressort et son mécanisme dans notre vie psychique archaïque. Et plus encore maintient toute la vie ce fonctionnement archaïque comme à l'état naissant : les grands sauriens s'ébattent encore.

     

    Figuration de la pensée ou du mot convertis en images : fait du rêve ou du délire. Et d'ailleurs dans le rêve chacun se fait psychopathe, hallucinant sa pensée et son désir, dans l'ignorance ou le rejet des médiations temporelles et logiques, sans repères moraux et sociaux.

    Il y retrouve son comportement de bébé, de petit humain dans la préhistoire de sa vie, qui ne distingue pas son moi et ses émois du monde et de ses lois.

    Pour lui à son échelle, les formes floues des adultes qui se meuvent autour de lui, oui ça ressemble à des dinosaures. Plus exactement il reconstruit rétrospectivement la ressemblance quand, petit enfant, il a sous les yeux un livre, un docu à la télé, un film d'animation. Ambivalence logique donc, de l'enfant envers les dinosaures, mi-doudous mi-monstres, si semblables aux figures parentales, grands sauriens des temps archaïques qui s'ébattaient entre eux de manière incompréhensible, dont il attendait protection, redoutait l'abandon, dans sa Hilflösigkeit (en manque d'aide) fondamentale.

    Un sentiment proche nous atteint à l'autre bout d'une vie : menace de forces obscures et impensables, ombres floues aux abords du dernier passage. Quoi d'étonnant alors que le vieux Freud, dans son génie névrotique – sa névrose de génie - en fantasme l'illustration à partir de son regard de bébé, jamais perdu bien que refoulé ?

    Sauf que, parions-le, bébé Sigmund se souciait peu de la différence d'échelle entre la prêle et le palmier, jusqu'à ce que Monsieur Freud se préoccupe de soulever cette question et les préoccupations phalliques associées.

  • Résultats idées problèmes

    Freud consacre les derniers mois de sa vie, en 1938-39, à rédiger les trois versions successives de l'essai « L'homme Moïse et le monothéisme », qu'il considère comme son testament. Et qui de fait l'est à bien des égards, on en reparlera peut être. Une œuvre étonnante, pour ne pas dire déboussolante, qu'il travaille dans un acharnement et une énergie tout aussi étonnants pour un homme de 82 ans, à qui les douleurs de son cancer ne laissent guère de répit. Un homme dont à ce moment des parents sont happés par la machine antisémite nazie, qui ne l'aurait pas épargné non plus s'il n'avait fui juste à temps. Bref un exilé non seulement de sa Vienne chérie, mais de sa foi humaniste. Et un homme en instance de l'exil définitif, celui de la vie.

    Et puis, outre ce travail plus construit, il continue ce qu'il a toujours fait comme les autres intellectuels ou créateurs : prendre des notes au jour le jour, sous l'intitulé Résultats, idées, problèmes. (Ergebnisse, Ideen, Probleme)

    Un intitulé déjà fort instructif en soi, et indéniablement représentatif du besoin d'ordre, de bilan et d'anticipation de tout obsessionnel qui se respecte.

     

    Résultats. « Bon, ça c'est fait. Emballez c'est pesé, pensé, revu et corrigé. Plus la peine d'y revenir. Ou alors me faudrait un temps que je n'ai plus. Vu le niveau du sablier, je pare au plus pressé. Et puis bon des résultats, ça en fait déjà quelques uns. Pas autant que j'aurais voulu. (Un peu plus quand même que ce qu'a choisi d'en dire Onfray. Si je risquais une interprétation sauvage - autant agir selon l'image qu'il a de moi - je dirais qu'il a du mal à me vouloir du bien. Ce n'est pas ce que je lui demande, ni à personne d'ailleurs. Je me contente de rappeler le mot de Camus que je cite en substance, 'je ne demande pas qu'on soit d'accord avec moi, mais seulement qu'on prenne la peine de me lire vraiment.' Voilà, ça aussi c'est fait.) »

     

    Idées, problèmes. Des mots qui disent : il y a encore tant de pistes à explorer, tant de questions à creuser. Autant résultats sonne ça c'est fait, autant ces deux mots notent le jaillissement encore de la pensée, comme un cours d'eau pas près de se tarir.

     

    Car si Moïse est un testament c'est à dire une œuvre écrite en face de la mort, avec Résidépro la mort, Freud l'ignore avec une belle indifférence. Dans ces petites notes ce n'est que la vie toujours à l'oeuvre, la curiosité, l'acte de penser, intacts, vibrants. Des fourmis dans la tête comme on en a dans les jambes. Un écrit qui fait un pied de nez à la mort, l'écarte de ce geste instinctif qu'ont les enfants quand vous les gênez, tout concentrés qu'ils sont sur leur jeu.

    Résidépro c'est pour Freud un dernier "précipité" de libido, dans la chimie qui met en présence un temps et un désir. « Le désir, ce fils immortel de l'enfance de l'homme. »