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  • Borderline

    Ils disent aussi, les spécialistes, qu'il y a un rapport avec un proverbe. C'est souvent le cas. Bruegel en a illustré beaucoup, selon la technique du rébus où les images forment un discours. Ce goût pour le rébus attire l'attention sur sa manière, sa signature : jeu entre représentation « naïve » et suggestion, faculté à laisser sourdre de l'évidence du réel la fameuse inquiétante étrangeté (chère à Papa Sigmund). Par le rébus, qui prend les choses au mot, Bruegel nous happe dans le mécanisme de métaphores proprement insensées, car destinées non tant à révéler le sens du monde qu'à en saisir le non-dit.

    Les schizophrènes aussi, comme les enfants, traitent les mots comme des choses, dit Freud. Un commentateur a suivi cette idée : Griet présenterait tous les traits de la schizophrénie. C'est une piste à explorer. Voir le tableau comme projection du monde intérieur de Griet, ainsi que nous y invite le titre, en fait. Lire comme illustration de sa schizophrénie l'aspect très éclaté, très morcelé, le fait que ça parte dans tous les sens : lignes contradictoires, hiatus entre les formes, disproportion entre les différents personnages.

    Le style métaphorique de Bruegel produit aussi auto-engendrement des images, passage d'une à l'autre par système d'associations libres.

    Ainsi dans ce tableau, si certains personnages sont clairement humains ou animaux, si certains objets sont réalistes, s'il y a du végétal réaliste, il y a aussi beaucoup de figures hybrides entre les trois règnes humain, animal, végétal. (C'est souvent, là encore, la même chose dans ses autres tableaux). Un climat borderline c'est le cas de le dire.

     

    Que fera un borderline s'il est peintre ? Il cherchera à résoudre son problème pratique de difficulté avec le réel (comme font en général les borderlines dignes de ce nom). Il a pour cela deux solutions esthétiques inverses

    1 chercher à circonscrire les choses, à préciser le flou, l'absence de contours, à marquer des délimitations.

    2 laisser se faire l'immersion dans l'étrangeté des choses, l'indécision, la mutabilité, la réversibilité. Et la donner à voir comme il la voit.

     

    Bruegel a visiblement choisi la solution 2. On ne peut que s'en féliciter pour les bonheurs esthétiques qu'il nous a ainsi offerts. Cependant je ne suis pas sûre que Margot aurait fait le même choix s'il lui avait demandé son avis. Elle, les trucs flous et les loups qui vont avec, elle en a plutôt sa claque, je dirais. (À suivre)