Comme minuit, midi est une heure auréolée de prestige. Une heure de grande marque. Le soleil y est à son zénith. Ou pas loin.
Laissons de côté les considérations sur les contingences administratives des heures d'hiver ou d'été et ce qui s'ensuit de décalages divers, nous obligeant de fait, les jours d'été, à chercher midi à quatorze heures.
Et l'hiver à voir tomber la nuit à l'heure du thé, et non comme il serait logique, à l'heure du tilleul.
Midi, musicalement, c'est du cuivre, de la cymbale, de l'éclatant.
C'est du brutal, c'est du total. Comme dit David Roi rien n'est caché à son ardeur (psaume 19). Pour être précis il le dit à propos du soleil sans précision, mais il est clair qu'il ne peut s'agir que du soleil de midi.
Moment de tel dardage (dardement, dardure) de ses rayons depuis la verticalité du zénith que trouver un coin d'ombre relève du mirage.
À propos d'ardeur le démon dit de midi n'est pas ce qu'on croit (ai-je appris récemment), une braise virile ravivée chez les hommes vieillissants. Chez les femmes je ne sais si ça existe. Parions que ceux qui le pensent n'y voient pas fatalité démoniaque, mais ridicule pathétique de vieilles peaux incapables d'accepter leur âge.
De toutes façons tout le monde se goure.
Loin d'être un désir derechef aiguillonné, le démon de midi est l'inverse. Il s'agit d'un profond ennui, d'un marasme auquel s'abandonnent le moine et la nonne à l'heure lourde du jour (pareillement mais séparément ça va sans dire).
Bref un pack d'apathie aboulie asthénie auquel la théologie médiévale a donné le nom d'acédie.
On peut en déduire que le menu n'était pas toujours frugal dans les couvents, comment expliquer sinon cette pesanteur méridienne ?
Acédie par ailleurs est un mot qui, je dois le confesser, me donne la chair de poule : traduit en lacanien, il révèle un hideux visage messager d'aquabonisme, annonciateur de page blanche.
Mais si elle fait mine de s'emparer de moi, l'acédie, j'ai mes rites d'exorcisme. Grille de mots croisés soumise à mon inquisition, clope livrée à la main de mon bras séculier pour être consumée.
De quoi mettre en fuite le plus motivé des démons.
Et puis démon pour démon, le philosophe préférera toujours invoquer avec Montaigne celui de Socrate, qui était à l'aventure certaine impulsion de volonté, qui se présentait à lui, sans attendre le conseil de son discours.
Une étrange inspiration dont Montaigne signale le danger potentiel : ne pas attendre le conseil de son discours peut en effet conduire à n'importe quoi. Mais il ajoute que Socrate et lui-même en fin de compte ne s'en sont jamais mal trouvés.
Je ne sais pas à quelle heure ça se passait, mais il est probable que, comme dit Rimbaud, au réveil il était midi.