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  • La politesse du porc-épic

     

    « Par une froide journée d'hiver, un troupeau de porcs-épics s'était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s'éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu'ils étaient ballottés de çà et de là, jusqu'à ce qu'ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable.

    Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu'ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c'est la politesse et les belles manières.

    Par ce moyen, le besoin de chauffage mutuel n'est, à la vérité, satisfait qu'à moitié, mais en revanche on ne ressent pas la blessure des piquants. Celui-là cependant qui possède beaucoup de calorique propre, préfère rester en dehors de la société pour n'éprouver ni ne causer de peine. »

    Schopenhauer. (Parerga et paralipomena)

     

    L'homme est un animal politique et le porc-épic a le sens civique. Il pratique la politesse de l'élastique. Mais si le porc-épic est mélancolique, là y a un hic.

    Car ce loustic illogique ne recherche l'autre porc-épic que s'il n'est pas trop mal dans sa peau qui pique.

    Mais que la glaciation vienne à nouveau le saisir, il s'éloigne et s'isole.

    Autre différence avec un porc-épic typique : des piquants, le mélancolique en porte aussi et surtout à l'intérieur. Il est hypersensible à la moindre piqûre venue de l'autre qui vient raviver la blessure des piquants internes.

    Un écorché vif (sic).

    Quand la réalité se fait polémique, chacun se replie instinctivement. Mais si à l'intérieur ça pique aussi, la situation du porc-épic devient fort épique.

    Dans ce cas pas de panique, y a un truc qui tombe à pic. A défaut de chauffage électrique, c'est le calorique propre qui évite de transir de froid dans sa solitude.

    Il arrive parfois que le calorique produise un rayonnement mirifique, capable de réchauffer des colonies entières de porcs-épics.

    Le calorique héroïque et poétique d'un porc-épic fort chic type nommé Friedric.

    « Dans le coin ensoleillé de mon mont des oliviers je chante et me moque de toute compassion. Ainsi chantait Zarathoustra.»

     

     

     

     

     

  • Lot de consolation

     

    « Je cause parfois avec les hommes comme l'enfant avec sa poupée. Elle sait très bien que sa poupée ne l'entend pas, mais elle se procure, par une agréable auto-suggestion consciente, la joie de la conversation. »

    Schopenhauer (Parerga et paralipomena)

     

    Remarquons le « elle ». Schopenhauer, dans son préjugé, considère-t-il que pour jouer à la poupée il faut être une fille ? Ou le préjugé est-il plutôt celui du traducteur ?

    Je n'ai pas le texte allemand, mais il y a fort à parier qu'il s'agit du mot « Kind », qui est neutre. S'appliquant pareillement à garçons et filles.

    C'est beau, ce texte, mais c'est triste, non ? Schopenhauer en petit enfant esseulé qui n'aurait pas trouvé d'amis parmi les autres enfants, pour partager ses jeux. Trop différent d'eux, trop timide, trop renfermé en lui-même.

    Peut être aussi, comme le dit à Julien Sorel son mentor au séminaire, pas assez médiocre pour eux. On comprend pourquoi Nietzsche s'est senti aussi proche de Schopenhauer.

    C'est triste. Ou pas ? Il n'y a pas que les enfants solitaires qui jouent à la poupée.

    Au contraire chez l'enfant dans une voie habituelle de socialisation, jouer à la poupée (ou à ses déclinaisons nounoursiennes et autres) c'est anticiper sa vie relationnelle d'adulte. S'y entraîner sans risque, à l'aide de ce que le psychanalyste anglais Donald Winnicott nomme un objet transitif (ou transitionnel).

    Un objet qui fait exister un lieu de transition entre la subjectivité du monde intérieur de l'enfant et l'objectivité du monde réel. En passant par ce lieu-là, l'enfant peut se risquer chaque jour un peu plus vers le monde des autres, car il sait pouvoir battre en retraite facilement vers la sécurité de son monde à lui.

    Plus poétiquement, disons que la poupée est comme une matriochka : à l'intérieur il y a tous les visages, les répondants qu'offriront peu à peu à l'enfant les relations réelles avec ses semblables.

    (Métaphore formulée il vous en souvient par le héros de Cédric Klapisch à la fin des Poupées russes. Lui l'applique aux relations amoureuses, mais c'est valable pour tous les répondants que l'on cherche dans le monde).

    Sauf que Schopenhauer a eu beau les chercher, les visages, les répondants, il ne les a pas trouvés. Ou si peu. Et bien tard.

    Il a eu beau tenter de parler aux hommes de sa philosophie, longtemps il ne les a pas intéressés. Alors il est revenu à sa poupée, son lot de consolation.

     

    « Ma philosophie ne m'a rien apporté, mais elle m'a beaucoup épargné. »

    (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)

     

     

     

  • Fiat lux

     

    « Il n'y a pas beaucoup à gagner dans ce monde : la misère et la douleur le remplissent, et, pour ceux qui leur ont échappé, l'ennui est là qui les guette de tous les coins. En outre c'est d'ordinaire la perversité qui y gouverne et la sottise qui y parle haut. Le destin est cruel, et les hommes sont pitoyables.

    Dans un monde ainsi fait, celui qui a beaucoup en lui-même est pareil à une chambre de Noël, éclairée, chaude et gaie, au milieu des neiges et des glaces d'une nuit de décembre. »

    Arthur Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)

     

    Bienvenue à Mélancoland. Le pays où l'on voit tout en noir y compris les chats gris.

    Où la nuit est longue, le vent glacial, où le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, et j'en passe.

    Ne pas croire pourtant qu'il soit si désagréable d'y avoir son pied à terre. La preuve beaucoup n'en sortent jamais que les pieds devant.

    C'est un pays pourtant, il est vrai, où l'on s'ennuie à cent sous l'heure, voire pour pas un rond. On comprend que les habitants cherchent antidotes & dérivatifs. Alcool, sexe, opium ou autres drogues, divertissement pascalien.

    Ce sont des gens par ailleurs plus entreprenants qu'on ne croit, nombreux à se lancer dans l'aventure d'expéditions bipolaires.

    Autre attrait de Mélancoland, la guerre n'y motive guère le commun des mortels. On se contente d'y retourner sa violence sur soi-même.

    Autrement dit (et Freud le dit pareil) on y est relativement civilisé.

    Un des meilleurs rapports bénéfices/risques pour survivre en Mélancoland a de tout temps été trouvé dans la création.

    Forte concentration de poètes au mètre carré (un peu moins carré pour ceux qui écrivent en vers libres). Plus généralement d'artistes en tout genre. Peintres de clair-obscur ou de tournesols.

    Musiciens polonais et romantiques.

    Et puis ça pullule de philosophes nauséeux, danois, zarathoutristes, tout ça.

    Forte population féminine.

    La femme a généralement le profil-type du citoyen Mélancolandais.

    Peu formée à extérioriser sa violence, assez fofolle pour libérer sa créativité, hypersensible à l'ennui (comment expliquer sinon sa lassitude devant un match de foot, palpitant par essence).

    Revers de la médaille (rien n'étant parfait en ce bas monde comme le dit ci-dessus Schopenhauer), les Mélancolandais préférant la vie symbolique à la réelle, ils vivent seuls et incompris.

    Ils travaillent donc à se construire leur chambre de Noël, éclairée, chaude et gaie.

    Si par hasard un passant levait les yeux vers leur fenêtre, il pourrait profiter un instant de la petite lumière, de la petite joie gagnée sur les ténèbres.