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  • Chat perché

     

    « Chat échaudé craint l'eau froide. »

     

    On remarquera d'abord que ce proverbe ne prend pas beaucoup de risques en nous balançant cette affirmation, vu que les chats n'aiment pas l'eau de toutes façons.

    Cependant cette phrase est pleine de ressources.

     

    Elle pourrait faire le slogan astucieux d'une pub pour mitigeurs.

    Étonnant que personne n'y ait songé. Faut dire que la pub est un monde par définition conformiste. Et donc on n'y connaît que l'eau déjà tiède.

     

    On pourrait aussi la moduler de bien des façons. Par exemple tenez :

    Dans un style plus frappant, plus grandiose.

    Dinosaure écrabouillé craint petits galets.

    Pour une prise de conscience écologique.

    Champ monsanté craint même semis bio.

    En commentaire de l'œuvre de Schopenhauer.

    Porc-épic trop piqué craint aussi sa poupée.(cf ce blog 26 et 29 déc 2016)

     

    Mais il y a surtout à remarquer que ce proverbe, construit, comme autour d'un pivot, sur le verbe craindre, constitue la devise idéale du phobique (phobos = peur).

    Allez oui tiens, puisqu'on y est, n'évitons pas ce sujet de la phobie. Histoire de passer un bon moment, y en a pas tant.

     

    La phobie est une névrose vraiment à part, dit Lacan. (Outre que le phobique passe son temps à se mettre à part de plein de trucs).

    Toute névrose qui se respecte a pour matériau brut une angoisse qu'elle jugule en l'exprimant par des symptômes.

    Ainsi rites et obnubilations de la névrose obsessionnelle tentent de cadrer l'angoisse, de lui baliser des chemins.

    Somatisations et histrionisme de la névrose hystérique la convertissent en spectacle bruyant. 

    Mais dans la phobie, l'angoisse à l'origine de tout symptôme devient elle-même le symptôme.

    Le phobique n'est que peur. La peur est sa constante, le fondement de son rapport au monde.

    L'expression de la peur peut papillonner d'un objet à l'autre, ou même en combiner plusieurs.

    Mais ce qui est sûr, c'est que les objets phobiques ne sont pas aptes à remplir la fonction de réduire l'angoisse, comme les symptômes des autres névroses.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Ils ne sont aptes qu'à diffracter comme en un arc-en-ciel l'angoisse vide, blanche, transparente.

    Cette chose invisible mais par laquelle seule on voit le monde.

     

    C'est pourquoi Lacan dit fort joliment que l'angoisse est « le cristal signifiant de la phobie ». 

     

  • Seuil critique

     

    « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. »

     

    Un proverbe bien représentatif de la tendance du sens commun à enfoncer des portes ouvertes.

    Personnellement je vote pour lui décerner un La Palice d'honneur lors du prochain Festival du Café du Commerce.

    Mais ayant l'esprit ouvert, je veux bien entrer dans le débat. Et admettre qu'il se peut que la porte soit à double fond.

     

    Cas 1. On entend « il faut » au sens moral. Le proverbe (se référant probablement à Kant ou Kierkegaard) attire l'attention sur la nécessité de la décision éthique.

    Ouvrir ou fermer la porte, il faut choisir.

    (Remarque. Ainsi s'entend généralement le proverbe, comme en témoignent des textes fort divers) :

     

    Consigne impérative à tous collaborateurs  (excepté personnel open space) : il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, sous peine de la prendre vite fait.

     

    Règlement de copropriété.

    Article 1 : il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée.

    Article 2 : mais fermée c'est mieux, avec ce qui traîne dans le quartier.

     

    Il est écrit « il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ».

    Un temps pour ouvrir la porte, un temps pour fermer la porte. Mais quand viennent les courants d'air ils l'ouvrent et la claquent à leur guise.

    Car le vent souffle où il veut. Et tout est vanité sous le ciel.

     

    Cas 2. On entend « il faut » comme une constatation (= il faut bien, c'est comme ça on n'y peut rien, c'est la vie voilà, fatalitas, anankê tout ça tout ça).

    Mais c'est pas simple pour autant.

     

    2a) on comprend « ou » au sens disjonctif du principe aristotélicien de non-contradiction. Il trace une ligne de démarcation entre états incompatibles de la porte.

    Ce qui est ouvert n'est pas fermé, et ce qui est fermé n'est pas ouvert. Genre il faut que cela soit ou de la prose ou des vers.

    (Remarque. Dans ce cas cela me donne raison : ce proverbe parle pour ne rien dire. Mais je dis ça je dis rien, poursuivons.)

     

    2b) on donne à « ou » un sens potentiellement inclusif. On débouche alors sur l'affirmation d'un paradoxe : le caractère de la porte est d'être à la fois ouverte et fermée.

    Et voilà que le concept de porte s'en trouve radicalement déplacé.

    Et, par contiguïté logique, ceux de mur et de frontière également.

    (Remarque. Peut être faudrait-il informer les responsables politiques et le conseil de sécurité de l'ONU de cette acception possible du proverbe ?)

     

  • Retiens le jour

     

    « À chaque jour suffit sa peine. »

     

    Un autre proverbe considérant l'entropie de la vie.

    Si émouvant dans sa simplicité. La platitude s'y sublime en humilité, le bon sens lapaliste en pragmatisme sans phrases.

    Pour ma part je ne le suis guère, sans phrases (ah ça oui on te le fait pas dire, direz-vous).

    Pragmatique non plus d'ailleurs, ce qui n'est peut être pas sans rapport, mais bon c'est pas le sujet.

    En l'occurrence me reviennent les mots d'Aragon (bien phraseur aussi dans le genre, mais de temps en temps faut reconnaître qu'il nous dégote des pierres précieuses belles comme les beaux yeux de sa blonde) :

    « j'entends leurs pas j'entends leurs voix

    qui disent des choses banales

    comme on en dit le soir chez soi. »

     

    Le soir chez soi. On s'est posé un instant, la tête vide, le corps abandonné, le regard perdu.

    Las des luttes quotidiennes. Invisibles, si banales et indispensables pourtant.

    Et puis un murmure émerge de sa non-pensée, de son absence à soi : à chaque jour suffit sa peine.

    Un peu ragaillardi, on poursuit parfois il fera jour demain

    Et l'on finit, sur fond de musique hollywoodienne, par proclamer avec Scarlett O'Hara Demain est un autre jour.

     

    Demain l'on retrouvera bien sûr les soucis que l'on porte sans cesse avec soi.

    Demain à nouveau il faudra leur faire face. Mais il sera temps demain.

    Pour aujourd'hui il suffit. Et l'on fait taire l'angoisse et on laisse se refaire ses forces.

    Tout un art stoïcien de la patience alliée à la persévérance.

     

    Le sens commun ajoutera, histoire de nous remonter complètement le moral : les jours se suivent et ne se ressemblent pas.

    Et c'est vrai. Y a pas que les jours stoïciens, y a les jours carpe diem.

    Les bons jours où l'on se lève du bon pied sous un soleil spinoziste.

     

    Les jours où l'on a envie de suivre le conseil de l'ami des Essais :

    « Il faut retenir à tout nos dents et nos griffes l'usage des plaisirs de la vie, que les ans nous arrachent des poings, les uns après les autres. »

    Livre I chap 39 De la solitude