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  • Droit à la paresse (13/13)

    Il serait réducteur, je l'ai déjà signalé, de dissocier chaque disgrâce de son envers positif, de dissocier un vice de sa potentielle vertu jumelle.

    J'avais promis d'en dire un mot. Vous savez quoi on parle toujours trop. Mais bon : chose promise chose due.

    Pour la paresse avec son envers positif d'oisiveté, cf la dernière fois (forte de l'autorisation de Jules Renard, je ne me fatigue pas à y revenir).

    La colère découle des tripes (kholê = bile). Ne jamais ignorer ni mépriser un message des tripes. À ce propos avez-vous lu le livre aussi réjouissant qu'instructif Le charme discret de l'intestin (Giulia Enders, Actes Sud 2015) ?

    L'aigreur coléreuse est nausée. On ne peut digérer quelque chose, ça reste sur l'estomac. Intolérance, allergie à l'injustice, au mépris, qui provoquent un haut le cœur. Lorsqu'elle n'est pas seulement revendication égoïste mais un indignons-nous pour le bien commun, elle peut susciter la force de se libérer, de vomir ce qui fait mal, ce qui empoisonne.

    L'envers positif de la gourmandise comme de la luxure, c'est le désir-même, l'appétit de vivre, celui qui nous meut et nous émeut dès notre premier cri, notre premier appel.

    Pourquoi cet appétit qui est notre essence-même (dixit Spinoza) se dévoie-t-il parfois pour nous enfermer dans l'insatiable, la mortelle consommation/consomption ? Et pourquoi libido et pulsion de mort sont-elles ainsi étroitement liées ?

    Bonnes questions, non ? (j'ai pas les réponses vous vous en doutez)

    L'envers de l'orgueil et de sa sœur siamoise envie est (cf 10 et 11) le fait de se contenter (au sens fort) d'être soi. Attitude permettant de trouver une juste place, de s'ajuster au monde et aux autres.

    Reste l'avarice. Voir son envers positif n'est pas gagné.

    S'il faut à tout prix sauver la cassette d'Harpagon, on peut dire : s'il est porté à amasser, c'est peut être pour s'assurer, se rassurer. N'ayant pas confiance dans la générosité des autres, il ne compte que sur lui.

    Ainsi, même pour de mauvaises raisons, il est dans une forme de responsabilité. Alors, s'il est conséquent, n'étant pas prêt à donner, il ne demandera pas aux autres de payer pour lui. Il est sans doute des Harpagons excusables de ce type ?

    (Perso j'irai pas les chercher dans les multinationales ou banques. Leur sens de la responsabilité m'échappe, tout comme elles-mêmes échappent au fisc).

     

    Voilà, j'arrête ici ce parcours bien schématique (mais incitatif un tant soit peu j'espère à la propre réflexion du lecteur). Pas envie de creuser davantage.

    Pour l'heure je vais explorer l'option paresse.

    Quant à la prochaine série prévue, elle sera beaucoup plus ludique. Quoique très cadrée. (Habile accroche, non ?)

  • La paresse ou le maintien (12/13)

    D'après Robert, le latin pigritia s'apparente au verbe impersonnel piget. Une chose qui piget, c’est une chose qu'on a répugnance à faire, à laquelle on ne se décide pas de bon cœur.

    La paresse, étymologiquement, est donc le manque d’entrain qui vous fait traîner les pieds.

    « Goût pour l’oisiveté, comportement de celui qui évite l’effort », tranche Robert.

    La deuxième formulation correspond bien à l’étymologie signalée, mais la première l’infléchit.

    Double face : la définition en creux, négative, pas-effort, et la définition positive : goût-oisiveté. Deux points de vue sur la vie.

    Le goût pour l’oisiveté implique (paradoxale logique) une dynamique de recherche, ou à tout le moins l'aptitude positive à apprécier le bien être. Autant l’oisiveté-paresse est suspectée par la morale du sens commun d’être « mère de tous les vices », autant est estimé l'otium par le philosophe.

    Echapper aux occupations contraintes, à un travail sans créativité, non épanouissant, et s'ouvrir un espace de liberté d'autonomie de décision et d'action, où œuvrer aux choses vraiment importantes et essentiellement humaines : penser, créer des œuvres d’art, faire de la politique, se soucier seulement d'aimer ...

    L'ennui c'est qu'y a juste un truc, oh une broutille : l'obligation de gagner sa vie.

    C'est pourquoi cette oisiveté-là revendique le « droit à la paresse » cher à Paul Lafargue, pour échapper à l’aliénation de l’exploitation.

    En revanche, renâcler devant tout effort, se laisser-aller, lâcher en somme, telle est la paresse-lâcheté à mettre au nombre des disgrâces capitales.

    Consommation passive, divertissement décervelant.

    Paresse à penser, à raisonner, à vérifier, qui nous fait gibier de désinformation et de propagande. Conformisme confortable du panurgisme.

    Et ce rapport au temps fait d'ennui et d'impatience à la fois, d'incapacité à persévérer dans une construction, à tenir dans un engagement.

    Évidemment question : d'où vient cette répugnance à l'être-actif ? Faiblesse, déficience physique ou mentale qui rend l’effort insurmontable ? Manque de motivation, peur de l’échec ? Complaisance et/ou tourment nihiliste dans la conviction que rien ne vaut la peine ?

    Peut être radicale pulsion de mort, dirait Freud. Et Spinoza d'approuver : incapacité ou renonciation au conatus perseverare in suo esse, cet effort de se tenir dans la vie comme on maintient un témoignage : je suis qui je suis.

     

    Robert étant quant à lui ce qu'il est, il termine par une citation.

    « Paresse : habitude prise de se reposer avant la fatigue. » (Jules Renard)

    J'imagine ce qu'il a dû bosser pour la trouver, celle-là ...

    Bravo Jules, toi au moins t'es pas un flemmard.