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  • Un ami qui vous veut du bien

    N'importe qui peut compatir aux souffrances d'un ami, mais il faut une nature très noble – en fait celle d'un véritable individualiste – pour se réjouir de ses succès.

    Oscar Wilde (L'âme humaine)

     

    Le terme d'égoïste se précise ici en celui d'individualiste.

    Sans me vanter, voilà qui confirme la validité de la notion d'incomparable avancée la dernière fois.

    En effet, qu'entend Wilde par véritable individualiste ? Non quelqu'un qui ferait fi de la présence des autres, refuserait d'entrer en relations avec eux.

    Il désigne une aptitude à l'autonomie, qui va de pair avec la précieuse qualité spinoziste d'acquiescentia in se ipso.

    Comment ça c'est quoi ça que c'est ?

    « La Satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso) est une Joie née de ce qu'un homme se contemple lui-même ainsi que sa puissance d'agir. »

    (Éthique Partie 3 définition 25)

    = je me contente (au sens fort et positif) d'être qui je suis. L'AISI est en somme l'inverse de ce qu'en psychanalyse on appelle faux self.

    (cf fév-mars 2016 mon abécédaire sur Spinoza entrée Humilité ambitieuse)

     

    Le véritable individualiste n'a besoin de personne pour se sentir quelqu'un, et même (dans le meilleur des cas) quelqu'un de bien. Il n'éprouve donc pas le besoin de se grandir aux dépens d'autrui, en débinant ce qu'autrui a, est, ou fait.

    Le véritable individualiste est peu passible de tendance à la comparaison.

    Et par là peu accessible aux sentiments de jalousie.

    Une comparaison et une jalousie qui, on le sait bien, sont exacerbées par la proximité. Le footballeur évadé fiscal trouve grâce aux yeux de qui nourrit de la rancoeur envers son voisin qui s'est payé une nouvelle bagnole.

    C'est pourquoi

    On peut toujours être gentil avec des gens dont on se moque totalement. (Le Portrait de Dorian Gray),

    Tandis que

    Il est bien difficile de ne pas être injuste envers ceux que l'on aime. (Le Critique en tant qu'artiste)

    Pour un narcisse de salon, on dirait qu'il ne connaissait pas si mal la vie, Mister Wilde.

     

     

     

  • Le narcisse et la rose

    Il n'est pas égoïste, pour une rose rouge, de vouloir être une rose rouge, mais elle se montrerait affreusement égoïste en exigeant que toutes les fleurs du jardin soient des roses, et des roses rouges.

    Oscar Wilde (L'âme humaine).

     

    Ou : Portrait de l'artiste en rose rouge. Étonnant, non ? Vu le bonhomme, on aurait plutôt attendu un narcisse. (Mais ne débinons pas un coreligionnaire)

    (C'est le personnage de Woody Allen dans Scoop qui dit : je suis né dans le judaïsme, mais je me suis converti au narcissisme).

    Quoi qu'il en soit, que m'évoque cette rose rouge ?

    Pas la passion à laquelle on l'associe le plus souvent. Non pas tant que la nonchalante désinvolture affichée par Wilde soit incompatible avec la passion (au contraire c'est plutôt un improbable très possible).

    Pas la passion, mais une émotion tout aussi intense : la beauté.

    La beauté est cette chose qui ne peut que nous inspirer une gratitude infinie. Car elle nous offre la joie d'admirer.

    Qui peut contempler une rose, caresser ses pétales, respirer son parfum, sans s'extasier, et se sentir allégé de tout, de soi ? (Fût-il adepte fervent du narcissisme). Plus rien n'existe qu'elle à cet instant.

    Et aussi bref qu'il soit, il ouvre sur quelque chose d'absolu.

    Oui je sais. La notion d'absolu est un fléau ravageur aux mains des religions, des pouvoirs. Mais c'est qu'elle y est dévoyée en totalitarisme de l'ego.

    Que ce soit l'ego d'un führer quelconque ou (pire peut être) l'ego collectif d'un ensemble humain stupidement imbu de soi, de sa terre, ses traditions, ses morts … L'ego des vrais égoïstes, quoi.

    L'égoïsme n'est pas de vivre comme on le souhaite, c'est d'exiger que les autres vivent comme on le souhaite. (L'âme humaine)

    Mais soit, remplaçons absolu (absolutum = dé-lié) par incomparable. La beauté est incomparable, voilà.

    Pour la simple raison qu'on la rencontre dans une relation profondément personnelle, unique. Comme la vérité, l'amour et autres bêtises. « Par Saint-Ex, dira le lecteur, cette histoire de rose et de rencontre unique, ça me rappelle quelque chose, mais quoi ? »

    Tiens c'est vrai, mais j'ai pas fait exprès. (Mon côté fleur bleue, sans doute).

    Juste je voulais dire que cette rose est un excellent antidote au narcissisme des petites différences (ou même des plus grandes).

    Mais cessons les balivernes, et posons les vraies questions.

    Oscar le dandy portait-il une rose à la boutonnière ?

    Peut être préférait-il le classique oeillet ? Ou encore, dans son art de l'improbable, osa-t-il quelquefois l'orchidée, par exemple un catleya qui n'était pas encore proustien ?

     

  • Improbable

    Je ne suis que trop conscient du fait que nous sommes nés à une époque où seuls les gens assommants sont pris au sérieux, et je vis dans la terreur de ne pas être incompris.

    Oscar Wilde (Le Critique en tant qu'artiste)

     

    Si Wilde s'est appliqué à une chose, c'est bien à ne pas être pris au sérieux. Cela ne veut pas dire, quoi qu'il en dise ici, qu'il n'ait pas souhaité être compris. En réalité il aurait voulu être pris juste pour qui il était. Comme tout le monde, finalement.

    Quoique. Tout le monde : pas vraiment. Gageons que les menteurs, manipulateurs, oppresseurs, violents, etc. bref disons les « méchants » ne tiennent pas, eux, à être pris pour ce qu'ils sont. (Et tout ça finit par faire du monde).

    Je vis la terreur de ne pas être incompris est une phrase non sérieuse sans doute, mais profondément sincère sous le joke. Wilde voulait échapper à l'assignation à une case, échapper même à une quelconque définition.

    On devrait toujours être légèrement improbable. (Sentences philosophiques à l'usage de la jeunesse)

    S'efforcer à l'improbabilité suppose un certain rapport à ses contradictions. Il s'agit non seulement de les assumer, mais d'en faire sa carte de visite.

    Ce que fit Oscar Wilde dans sa grave légèreté (ou sa gravité légère), sa gaieté teintée d'inquiétude, sa pudeur masquée sous les provocations.

    L'improbable est un moteur de son œuvre. Le bon mot, dans la recherche d'une chute, d'un décalage, d'un paradoxe, peut être considéré comme le principe directeur de son esthétique d'auteur.

    Ce fut également son activité principale, autant dans la conversation en société (ce qui en a été recueilli par ses amis constitue en quelque sorte son œuvre orale) que dans son travail d'écriture.

    D'ailleurs, dans le théâtre ou les nouvelles, ses personnages passent aussi le plus clair de leur temps en conversations parfois tendres parfois cruelles, toujours spirituelles.

    Joignons-nous donc pour un moment à cette conversation.

    Les citations à suivre proviennent d'un recueil de ses aphorismes. Certains issus de conférences, de lettres ou de conversations. D'autres mis dans la bouche de ses personnages.

    Il est clair d'après ce qui précède que chez Wilde les deux modalités (réelle et fictionnelle) ne peuvent que s'équivaloir et doivent être prises exactement de la même manière.

    Au sérieux. Ou pas.