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  • Dieu, table ou cuvette

    Le statuaire et la statue de Jupiter (livre IX,6) est écrit en quatrains d'octosyllabes. Une forme très régulière, ce qui est rare dans le recueil.

    J'aime bien. Pour une fois se caler sur un truc répétitif ça repose.

    Entendons-nous je n'ai rien contre le jeu avec le rythme, si caractéristique de l'écriture des Fables. Mais les formes régulières c'est sympa aussi, et d'ailleurs JLF y est aussi habile que dans le reste.

    Petite confidence : je n'ai pas de sympathie particulière pour l'homme La Fontaine. Le message des fables, leur morale si l'on veut, pas renversante d'originalité, me laisse également assez froide (je l'ai déjà dit).

    En revanche c'est une délectation de savourer le style, la manière. Et c'est vraiment l'essentiel.

    Car, pour terminer sur les confidences, je n'arrive pas à trouver bon fond à un texte dès lors qu'il contient des vices de forme. (Alors que l'inverse ça passe) (Entendons-nous par vices de fond, c'est à dire de contenu, je n'entends pas des choses horribles et réprouvées par la loi, mais juste une pensée qui casse pas trois pattes à un canard, ou un raisonnement bancal, ce genre de choses)

    (Réfléchissez-y : le vice de forme ça craint vraiment, c'est pas idiot vous verrez) (Et réfléchissez encore vous verrez c'est souvent pareil pour les gens)

    (Comprenez bien : quand je dis forme parlant des gens je ne signifie pas leur physique, mais leur comportement, leur manière ou pas de savoir mettre les formes).

    Bref c'est un statuaire qui ambitionne la sculpture d'un bloc de marbre :

    Sera-t-il dieu, table, ou cuvette ?

    Pour moi cuvette sans hésitation. Faire la vaisselle dans un évier de marbre : élégant non ? Mais une table en marbre bof, et puis va la déménager. Quant à un dieu, quelle utilité ?

    Pourtant le sculpteur, lubie d'artiste (dixit JLF, je subodore plutôt un mécène institutionnel dans le coup), choisit le dieu, et tant qu'à faire le top : Jupiter.

    L'artisan exprima si bien/Le caractère de l'idole

    Qu'on trouva qu'il ne manquait rien/A Jupiter que la parole.

    (C'est pas comme le nôtre, hein ?)

    Devant la statue si convaincante, on le vit frémir le premier/Et redouter son propre ouvrage.

    JLF enchaîne sur le thème : voilà bien l'erreur païenne de l'artiste. Il fabrique ses dieux, puis oublie que c'est pour de semblant, bref se prend à son propre jeu.

    Il était enfant en ceci :

    Les enfants n'ont l'âme occupée/Que du continuel souci

    Qu'on ne fâche point leur poupée. (Tiens revoilà Schopenhauer cf ce blog 26-12-16).

    Chacun tourne en réalité/Autant qu'il peut ses propres songes :

    L'homme est de glace aux vérités,/Il est de feu pour les mensonges.

    (Illustration de ce que je disais : belle sentence, idée banale).

    J'ajouterais bien un truc. Si l'on prend ses désirs pour la réalité, c'est histoire de s'épargner la fatigue de la comprendre et le courage de la changer.

    L'artiste n'a pas davantage de force devant la rugosité du monde, mais il arrive au moins à faire quelque chose de son désir.

    Telle est l'efficacité de la sublimation artistique. Déjà c'est bien pour l'artiste lui-même. Pygmalion devint l'amant/De la Vénus dont il fut le père.

    Mais surtout les créations artistiques ne sont pas les choses les moins utiles au monde et à la vie, comparées aux autres agitations des hommes.

    Et à la plupart de leurs productions.

  • Tôt ou tard

    La mort et le mourant (livre VIII,1) n'a pas peur de la casser, l'ambiance.

     La mort ne surprend point le sage : il est toujours prêt à partir,

    S'étant su lui-même avertir./Du temps où l'on doit se résoudre à ce passage.

    (Voilà un je ne sais quoi de stoïcien qui surprend chez La Fontaine. Quoique ?)

    Eh oui c'est comme ça la vie (dit le narrateur) : tiens bien à jour ton memento mori, vu que la mort peut te tomber dessus d'une seconde à l'autre.

    Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps:

    Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,

    Il n'en est point qu'il ne comprenne/Dans le fatal tribut ; tous sont de son domaine.

    Avec la mort le temps ne fait donc rien à l'affaire. Ni rien d'autre non plus.

    Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse,

    La mort ravit tout sans pudeur.

    Tiens c'est vrai ça : si ne mouraient que les vieux, les méchants, les moches, ça relèverait le niveau global de l'humanité, non ?

    On a donc ici la preuve que la mort ne pratique pas l'eugénisme. Un bon point pour elle. (Comme quoi faut pas voir tout en noir).

     

    Bref la voici qui se pointe chez un mourant qui comptait plus de cent ans de vie.

    « Est-il juste qu'on meure au pied levé ? » dit-il.

    Il demande un délai sous divers prétextes : assurer un avenir au petit-fils (ah ça y est tu me calcules, Pépé ?), ajouter une aile à (son) logis (pour qui va du fauteuil au lit et puis du lit au lit : encore un projet immobilier qui cache quelque chose).

    Et l'argument du gentleman : Ma femme ne veut pas que je parte sans elle (pas besoin d'être Freud pour décoder : je le vois bien, elle et son amant attendent que je dégage, et ça m'enrage. Mettez-vous à ma place).

    Mais la mort n'est pas du genre à se laisser embrouiller.

    Trouve-moi dans Paris/Deux mortels aussi vieux.

    Hey man, t'as eu le temps de me voir venir. Et puis regarde les choses en face : plus de goût, plus d'ouïe ;/Toute chose pour toi semble être évanouie.

    Tu y tiens tant que ça à ta vie de légume ?

    La Mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âge

    On sortît de la vie ainsi que d'un banquet,

    Remerciant son hôte, et qu'on fît son paquet.

    Sauf que comme dit Montaigne si la vieillesse était une assurance-sagesse ça se saurait.

    Tu murmures, vieillard ; vois ces jeunes mourir. Il est seulement pathétique, le vieux accroché à la vie sans avoir plus rien à vivre. Mais il y a une vraie tragédie : la mort du jeune qui a la vie devant soi.

    Jusqu'au scandale parfois.

    Vois-les marcher, vois-les courir

    A des morts il est vrai, glorieuses et belles (ça c'est vite dit),

    Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles (là on est d'accord).

    Le scandale, c'est qu'il y ait des vieux pour envoyer à la mort des petits jeunes, sous divers prétextes : religieux, nationalistes, crapuleux (ça peut se cumuler).

    Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret. Bon, tant pis pour lui. (Mais bel alexandrin quasi racinien, non ?)

    L'ennui, c'est quand il tue sans aucun remords.

  • Rendors-toi

    L'homme qui court après la Fortune, et l'homme qui l'attend dans son lit (livre VII,12) est d'après mes sources de l'invention de La Fontaine.

    Qui ne court après la Fortune ?

    Je voudrais être un lieu d'où je pusse aisément

    Contempler (leur) foule importune(...)

    Fidèles courtisans d'un volage fantôme.

    Pauvres gens, je les plains, car on a pour les fous /Plus de pitié que de courroux.

    JLF fut-il du nombre des soupirants de cette inconstante ? Sans doute, mais en se comportant comme dans ses autres relations amoureuses : la passion n'était pas son genre.

    Il fit une carrière « administrative », et plutôt que de courir la Fortune pour son compte, il a épousé celle de ses protecteurs et mécènes, pour le meilleur et pour le pire. On connaît sa fidélité à Fouquet tombé en disgrâce.

    Bref, tout comme la chauve-souris est à la fois souris et oiseau (cf Réversible), La Fontaine fut ambitieux et sage à la fois. Si bien qu'il faut le voir comme une synthèse des deux personnages de sa fable.

    Deux amis en un bourg établi(s) mènent une vie suffisamment confortable. Mais l'un d'eux a plus d'ambition et suggère d'aller voir ailleurs si la Fortune y est.

    Cherchez, dit l'autre ami (…)/Contentez-vous ; suivez votre humeur inquiète (…)

    Je fais vœu cependant/De dormir en vous attendant.

    L'ambitieux, ou, si l'on veut, l'avare s'en va donc.

    Bien vu, ça. Le fric par le pouvoir ou le pouvoir par le fric : même combat.

    Un sondage auprès de patrons d'entreprises, d'institutions (églises, partis, syndicats), ou d'hommes politiques, nous le confirmerait aisément.

    (A condition de garantir l'anonymat des réponses bien entendu).

    L'ambitieux s'en va donc à la cour, un lieu que devait (devrait) la déesse bizarre/Fréquenter sur tout autre.

    Il la voit en effet squatter chez plein d'autres courtisans, mais chez lui non.

    Qu'à cela ne tienne, il se rabat sur l'option avarice, autrement dit se lance dans le commerce, l'import-export à grande échelle. C'est sympa, il voit du pays. Mais nulle trace de Fortune.

    Et tout le fruit/Qu'il tira de ses longs voyage,/Ce fut cette leçon

    que pour le même prix il aurait mieux fait de rester tranquille chez lui.

    En raisonnant de cette sorte,/Et contre la Fortune ayant pris ce conseil,

    Il la trouve assise à la porte/De son ami plongé dans un profond sommeil.

     

    Une morale à l'inverse de celle du Laboureur et ses enfants (livre V,9), mais qui rejoint la sagesse du psaume 127.

    En vain vous avancez votre lever, retardez votre repos, mangez le pain des idoles. C'est ainsi : à son bien-aimé en sommeil Il donne. (v.2)

    Et même pour finir lui donne le repos éternel (soit dit sans casser l'ambiance).