Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Un rien de pitié

    Pour désarmer les envieux, nous devrions sortir dans la rue avec des béquilles. Il n'est guère que le spectacle de notre déchéance qui humanise quelque peu nos amis et nos ennemis.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Nos amis : déprimant, non ?

    De la part des ennemis, on admet, c'est de bonne guerre. Mais des amis pourraient éprouver un sentiment si vil (et si peu civil) ? Consciemment non. Mais dans les tréfonds de leur inconscient ?

    On me dira si on commence à jouer les ventriloques avec l'inconscient, surtout celui des autres, c'est pas demain la veille qu'on risque de s'entendre, entre amis ou ennemis.

    Bon alors prenons la chose par le bon bout du sens commun.

    Il vaut mieux faire envie que pitié. À l'inverse on préfère ressentir pitié plutôt qu'envie. La comparaison est le moteur essentiel des passions & flottements d'âme (c'est pas moi qui le dit, mais Spinoza bien sûr). Or envier positionne en moins que, avoir pitié en plus que.

    La boiterie de l'ami (ou pas) offre ainsi une béquille toute trouvée à un ego bancal, lui offrant la plus-value de la pitié. C'est humain, mais c'est triste.

    Heureusement il y a Nietzsche :

    Si ton ami est malade sois un lieu d'accueil pour sa souffrance, mais sois un lit dur, un lit de camp : c'est ainsi que tu lui seras le plus utile.

    (Ainsi parlait Zarathoustra)

     

    Un rien de pitié entre dans toute forme d'attachement, dans l'amour et même dans l'amitié, sauf toutefois dans l'admiration. (A&A)

    Dans toute forme n'exagérons pas. Mais il est vrai que l'attachement, étant rapprochement, favorise la comparaison, donc éventuellement la pitié. L'admiration au contraire est extase, gratuité, libération des comptabilités de l'ego repérées ci-dessus.

    Corollaire : impossible de confondre envie et admiration. On n'envie pas la personne que l'on admire. Et l'on ne peut admirer celle que l'on envie.

     

    Quand on doit prendre une décision capitale, la chose la plus dangereuse est de consulter autrui, vu que, à l'exception de quelques égarés, il n'est personne qui veuille sincèrement notre bien.

    En fait je parie que Cioran plaisante. Il joue à surenchérir sur l'humour désabusé de Schopenhauer ou sur l'ironie de Kafka. Et puis consulter ou ne pas consulter n'est pas sa question, convaincu qu'il est de sa lucidité.

    Ce qui signifie pour lui rester absolument pessimiste, en tout, pour tout.

    C'est que l'optimiste est affligé du grave handicap d'être déficient en négativité, pauvre imbécile heureux. Sauf que, clopin clopant il avance, lui.  

     

  • La vipère et le porc-épic

    Ce qu'on devait se détester dans l'obscurité et dans la pestilence des cavernes ! On comprend que les peintres qui y vivotaient n'aient pas voulu éterniser la figure de leurs semblables et qu'ils aient préféré celle des animaux.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Il y a des grottes (ou parois) où l'on peut voir des silhouettes humaines, ne lui déplaise. Ce n'est pas le plus fréquent certes, mais à cette rareté le tabou a sûrement plus de part que la misanthropie (sauf pour le sapiens cioranus son lointain ancêtre).

    Cependant je dois dire la promiscuité des cavernes j'y avais jamais pensé mais j'aurais pas trop aimé non plus. Déjà la plage bondée au mois d'août dans l'odeur des crèmes solaires c'est pas facile.

    Heureusement pour la survie de l'humanité, à l'époque ils devaient déjà pratiquer le modus vivendi décrit par Schopenhauer dans sa parabole des porcs-épics. (cf ce blog 29-12-2016)

    D'où la question : pourquoi pas plus de dessins de porcs-épics dans les cavernes ?

     

    Concevoir l'acte de pensée comme un bain de venin, comme un passe-temps de vipère élégiaque.

    J'ai emprunté ce livre à la bibliothèque. Comme souvent, j'ai trouvé un intérêt anthropologique à observer les surlignages et soulignements, parfois les commentaires des lecteurs précédents.

    (Tout en déplorant leur sans-gêne et manque de respect des biens collectifs) (le genre à ne pas ramasser les crottes de leur chien, à jeter leur mégot n'importe où au lieu d'attendre la prochaine poubelle)

    (je reconnais que parfois faut garder le mégot longtemps) (zut j'ai oublié d'en parler dans le cahier de doléances) (monsieur mon maire si tu me lis).

    Bref tout ça pour dire que les soulignements m'ont donné confirmation que Cioran attire la sympathie plutôt des aigris grincheux fielleux.

    (Quoi moi ? Je le lis par curiosité, par intérêt quasi entomologiste)

    (mais je vois pas pourquoi je me sens obligée de me justifier).

    Cela dit ce côté venimeux de l'acte de pensée se rencontre parfois chez Schopenhauer et même Nietzsche. Pourquoi avec eux ça passe mieux ?

    (Peut être parce qu'ils n'en restent pas à la négativité et savent proposer, eux).

    Bon : vipère élégiaque faut avouer que c'est très joli.

     

     

     

     

     

  • Compagnonnages

    Si je me suis toujours méfié de Freud, c'est mon père qui en porte la responsabilité : il racontait ses rêves à ma mère, et me gâchait ainsi toutes mes matinées.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     Woodyallenien, non ?

     

    Je décèle immanquablement une faille chez tous ceux qui s'intéressent aux mêmes choses que moi …

    Là c'est Groucho Marx avec son célèbre Jamais je ne voudrais faire partie d'un club qui m'accepterait pour membre.

    Quoique. Il se peut que la faille soit ce qui aille à Cioran.

    Pour ma part je parie qu'il ne raterait pour rien au monde sa réunion des Misanthropes Non Anonymes, où il se tape trop l'éclate avec Schopenhauer, Kierkegaard et les autres.

     

    « Je suis lâche, je ne puis supporter la souffrance d'être heureux. »

    Pour pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il me suffit de voir comment il réagit à cet aveu de Keats. S'il ne comprend pas tout de suite, inutile de continuer.

     

    Décidément je vais postuler au club, ça fait trop envie.