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  • Foules sentimentales (4/16) Aucun délai

    La foule « ne supporte aucun délai entre son désir et la réalisation de ce qu'elle désire (…) la notion d'impossible disparaît. (…) Extraordinairement suggestible et crédible, elle est dépourvue d'esprit critique, l'invraisemblable n'existe pas pour elle. »

    (Freud. Psychologie des foules et analyse du moi chap.2)

     

    L'individu enfoulé* perd conscience des limites. Il se déstructure littéralement, la foule dissout ses repères concrets de temps et d'espace, et surtout ses repères logiques. Ce qui ouvre la voie à la perte des repères moraux.

     

    Cependant Freud (comme Le Bon) n'instruit pas seulement à charge. Il souhaite juger équitablement de la moralité des foules.

    Certes « toutes les inhibitions individuelles tombent, tous les instincts cruels, brutaux, destructeurs sont réveillés (…) Mais les foules sont également capables, sous l'influence de la suggestion, de grands accès de renoncement, de désintéressement, de dévouement à un idéal. »

    Dans la mesure où les limites de son moi s'y dissolvent, l'individu enfoulé est en effet porté à oublier (un peu et pour un temps bref) son intérêt personnel, qui est pourtant d'habitude « son mobile à peu près exclusif. »

    « Alors que l'activité intellectuelle de la foule se situe toujours très au-dessous de celle de l'homme isolé**, son comportement éthique peut tout aussi bien s'élever très au-dessus de ce niveau que descendre très au-dessous. »

    Oui enfin s'élever très au-dessus ... à condition pour l'individu en question de partir de vraiment bas, non ?

     

    Le Bon, dit Freud, relève encore deux caractères.

    « La foule est soumise à la puissance véritablement magique de mots qui peuvent provoquer dans l'âme des foules les plus formidables tempêtes et les calmer.

    Les foules n'ont jamais connu la soif de la vérité. Elles réclament des illusions auxquelles elles ne peuvent renoncer. »

    Deux caractères dans lesquels Freud retrouve « la prédominance de la vie fantasmatique (…) déterminante dans la psychologie des névroses. »

     

    *que la foule soit matérielle ou virtuelle, dans l'anonymat du net.

    **quand on est plus de quatre on est une bande de cons dit Brassens encore plus sévèrement (car mettant le seuil critique de l'enfoulement fort bas).

  • Foules sentimentales (3/16) Emportés par la foule

    Glosant Le Bon (selon son terme), Freud (Psychologie des foules et analyse du moi chap2 La peinture de l'âme des foules par Le Bon) revient à sa suite sur trois caractères de l'individu qui seraient de nouvelles propriétés conférées par sa mise en foule (ou sa prise par la foule, je ne sais comment dire).

     

    La foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, l'individu noyé dans la masse (comme on dit bien) s'autorise à céder à des instincts, que, seul, il eût forcément réfrénés.

    Freud en profite pour préciser en note la plus-value qu'il pense apporter à la réflexion de Le Bon.

    « Son concept d'inconscient ne coïncide pas totalement avec celui adopté par la psychanalyse. Il inclut avant tout les caractères les plus profonds de l'âme de la race, laquelle à vrai dire n'entre pas en ligne de compte pour la psychanalyse individuelle.

    (…) Le concept de refoulé manque chez Le Bon. »

    Je souligne ce passage car il marque bien la différence entre la psychanalyse freudienne et toute autre « psychologie des profondeurs » (à commencer par le jungisme) (il est certain que Freud y songe en écrivant ce texte et tient une fois de plus à tacler son ex-disciple).

    Le concept de refoulé individuel est essentiel pour lui. Il signe la dynamique conflictuelle de la personnalité (cf 1/16 à propos de Le moi et le ça), et son inscription dans la linéarité d'une histoire précise, unique.

    En d'autres termes, ce n'est pas l'être humain en soi qui est l'objet de ses interrogations, mais la manière dont chacun(e), dans le cours de sa vie, se débrouille avec son humanité.

     

    Outre l'irresponsabilité, on remarque chez les individus mis en foule (tiens, je vais dire enfoulés) la contagion mentale, découlant d'une forte suggestibilité.

    (Voilà qui amène le rapprochement entre réseaux sociaux et foule ainsi définie : viralité d'une vidéo, d'un tweet, facilité à croire une rumeur) (une des motivations, tu t'en doutais, lecteur-trice, de ma relecture de ce texte).

     

    Ce sont ces éléments conjugués qui donnent à la foule une irrésistible impétuosité vers l'accomplissement de certains actes.

    Des actes qui sont du genre à faire descendre à l'homme plusieurs degrés sur l'échelle de la civilisation. (Qu'en termes galants ces choses-là sont mises, non ?)