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  • Foules sentimentales (7/16) Concept miracle

    « Ce qui nous est habituellement offert comme explication par les auteurs traitant de sociologie et de psychologie des foules, c'est toujours la même chose, quoique sous des noms changeants : le mot magique de suggestion. »

    (Freud. Psychologie des foules et analyse du moi chap.4 Suggestion et libido)

     

    (Parmi ces noms changeants il cite contagion, imitation).

    Le concept de suggestion a gêné Freud dès le début, dit-il, lors de son séjour en France, en assistant aux expériences d'hypnose de Bernheim.

    « Je n'ai pas perdu le souvenir d'une sourde hostilité qu'alors j'éprouvais déjà contre cette tyrannie de la suggestion ».

    En effet, c'était là injustice patente et acte de violence envers le pauvre malade accusé de se contre-suggestionner s'il n'était pas bon sujet hypnotisable.

    Au plan théorique, le reproche était que « la suggestion, qui expliquerait tout, devrait elle-même être dispensée d'explications. »

    La génération spontanée d'un concept est forcément louche (genre imaginer Oedipe né dans un chou).

     

    Trente ans après, Freud pense avoir trouvé un concept plus satisfaisant, « qui nous a rendu de si bons services dans l'étude des psychonévroses.

    Nous désignons par libido l'énergie, considérée comme grandeur quantitative – quoique pour l'instant non mesurable –, de ces pulsions qui ont affaire avec tout ce que nous résumons sous le nom d'amour. »

     

    Après le mot magique, le concept miracle, à voir l'extension du domaine de la libido : l'amour sexuel mais aussi « l'amour filial et parental, l'amitié et l'amour des hommes en général (et) même l'attachement à des objets concrets et à des idées abstraites. »

    Un miracle de synthèse :

    « toutes ces tendances sont l'expression des mêmes motions pulsionnelles, qui dans les relations entre sexes poussent à l'union sexuelle, et qui dans d'autres cas sont certes détournées de ce but sexuel ou empêchées de l'atteindre, mais qui n'en conservent pas moins assez de leur nature originelle pour garder une identité bien reconnaissable (sacrifice de soi, tendance à se rapprocher). »

     

    Ce concept-clé a valu à son auteur, de la part de la majorité des gens cultivés, le reproche de pansexualisme. Il le note ici comme un discret (ou pas) clin d'œil à son courage intellectuel et son anticonformisme.

    Puis, revenant à ses foules moutonnières :

    «Nous allons donc maintenant risquer l'hypothèse que les relations amoureuses (en termes neutres : liens sentimentaux) constituent également l'essence de l'âme des foules. »

     

  • Foules sentimentales (6/16) Portrait-robot

    Les « principal conditions » pour que s'organise la vie psychique de la foule sont selon Mc Dougall au nombre de cinq. (Freud. Psychologie des foules et analyse du moi chap.3)

     

    « La première condition fondamentale est un certain degré de continuité dans la composition de la foule (qui) peut être matérielle ou formelle ; matérielle quand les mêmes personnes demeurent en foule un temps assez long ; formelle quand à l'intérieur de la foule s'instaurent des positions déterminées assignées à des personnes qui se relaient. »

    Dans la pratique historique, la continuité matérielle du faire foule est celle des moments fondateurs, et la continuité formelle l'apanage des institutions qui en émergent.

    Passage de députés rassemblés dans la salle du Jeu de Paume à la structure de l'état jacobin. De disciples regroupés dans une salle après la mort de leur rabbi à la multinationale église catholique.

     

    « La deuxième est que se soit formée en chaque individu de la foule une représentation déterminée de la nature, de la fonction, des réalisations et des exigences de la foule, de sorte qu'il en résulte pour lui un rapport affectif à l'ensemble de la foule. »

    Rôle-clé d'idéologies, de storytellings, non seulement pour structurer la pensée, mais surtout stimuler le moteur affectif de l'action.

    « La troisième est que la foule soit mise en rapport avec d'autres formations de foules semblables à elle, mais pourtant s'écartant d'elle sur plusieurs points, et que, par exemple, elle rivalise avec celle-ci.

    La quatrième est que la foule possède des traditions, des coutumes et des institutions, en particulier de celles qui concernent les relations réciproques de ses membres.

    La cinquième est qu'il y ait dans la foule une organisation qui s'exprime dans la spécialisation et la différenciation de l'activité qui échoit à l'individu. »

     

    On voit ici se dessiner le portrait-robot des foules partis politiques, foules religions, foules clans, foules nations : besoin d'autre(s) foule(s) posée(s) en miroir, dans un schéma antagonique. Transmission culturelle fondant et assurant la hiérarchisation de la structure.

     

    Freud conclut qu'avec ces propriétés « il s'agit de doter la foule des propriétés-mêmes qui étaient caractéristiques de l'individu et qui s'effacèrent chez lui du fait de la formation en foule. »

    Un premier enfoulement déstructure l'individu, un second le reconfigure. Pourquoi pas dira-t-on, si c'est pour la bonne cause.

    Déjà l'expression mérite soupçon, ce n'est plus à démontrer.

    Autre problème dans l'opération l'individu perd son originalité et se coule dans un moule. Les traits de son visage sont redessinés selon un portrait-robot.

    Et là ça peut vraiment craindre.

  • Foules sentimentales (5/16) Autres évaluations

     

    Avec Autres évaluations de la vie psychique collective (Psychologie des foules et analyse du moi chap.3), Freud rapproche l'analyse de Le Bon et deux autres.

    Celle d'un dénommé Sighele formulée un peu avant dit-il, aux alentours de 1910, et surtout The Group Mind publié par Mc Dougall en 1920.

    Voilà qui m'inspire d'abord une remarque sur la manière dont Freud travaille.

     

    Il commence à s'intéresser à la question de l'organisation des sociétés avec Totem et Tabou (1912). Ce livre s'appuie sur une bibliographie considérable, constituée en grande part d'ouvrages récents. Preuve que Freud d'une part n'est pas du genre à bricoler, d'autre part est à l'affût de toute pensée nouvelle.

    Il est du genre penseur obsessionnel, capable de tracer son sillon pendant des années dans une thématique qui lui tient à cœur.

    Et celle-ci est pour lui essentielle. Il ne la lâchera pas, de Totem et Tabou donc, jusqu'à son ultime ouvrage L'homme Moïse et le monothéisme (1938), en passant par celui qui nous occupe.

     

    Freud tire d'abord de ces lectures une évidence :

    « On a vraisemblablement réuni sous le terme de 'foule' des formations très différentes qui ont besoin d'être distinguées. » 

    La réflexion de Le Bon porte sur des foules éphémères, dont la « peinture lui est inspirée par les caractères des foules révolutionnaires, en particulier de la grande Révolution française. »

     

    Mc Dougall, lui, étudie le passage de la foule comme agrégat (crowd) à la foule organisée en groupe, notant les «conditions nécessaires pour que s'élève à un niveau supérieur la vie psychique de la foule. »

    Autrement dit les conditions à même de canaliser le côté primaire (cf Aucun délai) de l'individu enfoulé. Pour un mieux-éthique. Ou pas.