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  • (13/14) Justice et raison

    « À ceux qui nous régissent et commandent, ceux qui tiennent le monde en leur main, il n'est pas assez d'avoir un entendement commun, de pouvoir ce que nous pouvons ; ils sont bien loin au-dessous de nous, s'ils ne sont bien loin au-dessus. Comme ils promettent plus, ils doivent aussi plus. »

    (Montaigne Essais III,8 De l'art de conférer)

     

    Oui mais alors la question est : comment faire pour trouver ces oiseaux rares ?

     

    « Il faut qu'ils nous trient par conjecture et à tâtons (en fait c'est un peu au pif qu'on les sélectionne), par la race (la naissance) les richesses, la doctrine, la voix du peuple : très faibles arguments. Qui pourrait trouver moyen qu'on en pût juger par justice, et choisir les hommes par raison, établirait de ce seul trait une parfaite forme de police. »

     

    Nous voici donc, lecteur-trice (il fallait que ça arrive) devant la bonne vieille question de la meilleure forme de gouvernement.

    Par la race = monarchie ou aristocratie héréditaires.

    Les richesses = éventuellement clientélisme et ploutocratie, et aussi, de façon plus policée, avec apparence de légalité, les formes censitaires de démocratie ou d'aristocratie.

    La doctrine = ce peut être le règne de l'expert, mais aussi, au vu des expériences historiques et du monde contemporain, ce peut être le mode où gouverne le porteur d'une (le guide selon une) idéologie qui structure la société, qui crée un ciment entre les citoyens.

    Donc éventuellement un populisme, voire un totalitarisme.

    Par la voix du peuple = la démocratie, qui elle-même peut prendre bien des formes.

    Gouverner par la justice et la raison = le véritable philosophe-roi cher à Platon (et par conséquent de l'ordre de l'idéal, autrement dit du fantasme)

    (mode platonicien par excellence)

    (bon, ça c'est fait) (une fois de plus).

     

    Cependant Montaigne conclut un peu plus loin sur ce point avec une confondante malice : bof, finalement la fortune, le sort, le hasard sont plus déterminants que les qualités ou défauts des gouvernants ...

     

    Et rebof, de toutes façons ce sont leurs impulsions qui gouvernent la conduite des humains. Moi par exemple qui vous cause :

    « Ma volonté et mon discours se remuent tantôt d'un air, tantôt d'un autre, et y a plusieurs de ces mouvements qui se gouvernent sans moi. Ma raison a des impulsions et agitations journalières et casuelles. »

     

    Mais alors du coup, rendus ici dans le chapitre, on a tendance à se dire : tout ça pour ça ? C'était bien la peine de se décarcasser à réfléchir à l'art de conférer, aux caractères du débat démocratique …

     

     

  • (12/14) Ordonnée

    « Tout homme peut dire véritablement ; mais dire ordonnéement, prudemment et suffisamment, peu d'hommes le peuvent. »

    (Montaigne Essais III,8 De l'art de conférer)

     

    Montaigne est un styliste inventif, capable de toutes sortes d'audaces, par ses métaphores, son lexique et ses jeux de mots, ses rythmes.

    Il est tout autant soucieux de précision, de justesse, d'exactitude. Une précision qui induit la concision, comme dans cette phrase dense.

    Chaque adverbe énonce un des paramètres indispensables à la qualité du débat.

     

    Véritablement.

    Ça va sans dire mais mieux en le disant, aucun débat ne peut être constructif, si les participants n'y font pas preuve de sincérité. S'ils ne se mettent pas de bon cœur au service de la cause commune de la vérité (cf 8/14)

     

    Ordonnéement (orthographe de Montaigne, ce féminin me convient).

    En respectant procédures et conventions du débat. Elles varient en fonction de son type et de ses buts (recherche scientifique, procès, négociation commerciale, débat parlementaire etc.).

    Elles peuvent faire l'objet de modifications régulières ou extraordinaires. Mais pour chaque débat, une fois la procédure décidée et agréée par les parties, s'y tenir est plus utile que s'en dispenser.

     

    Prudemment.

    Au sens latin : le latin, ainsi l'a voulu papa Eyquem, ayant été pour Montaigne sa langue mienne maternelle (Essais I,26 De l'institution des enfants), il colore toujours son emploi des mots.

    La prudence est alliance de sagesse, raison et expérience. Sont donc répudiées ici l'impulsivité et les propos « en l'air ».

     

    Suffisamment.

    Suffire à une tâche, c'est présenter les aptitudes nécessaires pour la mener à bien. Il parle ainsi de suffisant lecteur.

    Ici il s'agit donc de suffisant parleur, fort différent d'un beau parleur, ou d'un tchatcheur.

    C'est juste quelqu'un qui sait ce que parler veut dire : s'il cherche à se faire entendre, c'est qu'il a vraiment quelque chose à dire.