« XXI. L'Estime (existimatio) est de faire de quelqu'un, par Amour, plus de cas qu'il n'est juste.
XXII. Le Mépris (despectus) est de faire de quelqu'un, par Haine, moins de cas qu'il n'est juste. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
Ce qu'il nomme estime correspond en fait à ce que nous dirions surestimation. Le mépris correspondant alors à dévaluation, dévalorisation. La racine latine (de spectare) indique l'idée que ça ne mérite pas un regard.
Notons que l'estime spinoziste telle que définie ici évoque la cristallisation stendhalienne. Stendhal désigne de ce terme le moment du début de l'amour où l'on revêt la personne aimée de toutes les qualités, comme se déposent sur une roche des cristaux dont les mille facettes renvoient la lumière, la rendant proprement éblouissante.
Avec ces deux affects donc, d'un côté on s'adonne à la joie d'admirer, de l'autre on détourne les yeux.
Compte tenu de la réversibilité possible entre amour et haine (cf 7) il peut arriver que l'on éprouve successivement les deux. Celle, celui qu'on ne se lassait pas de contempler en restant quasiment bouche bée (de « bader » comme on dit ici en Provence) du temps de la cristallisation, on finit par ne plus poser sur lui, sur elle, qu'un regard absent.
L'idéal, bien sûr, est que le curseur oscillant entre sur- et mes- estime se stabilise au point d'équilibre, que les désillusions réciproques, les décristallisations symétriques, ouvrent la voie à une authenticité partagée.
Et en fait, peut être suis-je optimiste, mais je trouve que ce n'est pas si rare.