« XXVI. L'Humilité (humilitas) est une Tristesse qui naît de ce qu'un homme contemple son impuissance ou faiblesse. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
C'est sûr y a mieux pour le moral. Il y a quelque chose de masochiste à contempler ainsi son impuissance ou sa faiblesse. Remâcher ses échecs et insuffisances, stagner dans le marasme, se complaire dans la contre-joie d'une mauvaise image de soi.
La question ici n'est pas de savoir si les insuffisances sont réelles, si la mauvaise image est justifiée. Non que ce soit sans importance éthique, mais Spinoza s'attache plutôt, de manière pragmatique, à pointer les effets démobilisateurs de cette humilité.
Rappelons que la tristesse est une déperdition de per-fection, d'adhésion à la réalité (cf 3). On peut, dans la même idée, mettre la démobilisation induite par l'humilité en regard d'une proposition majeure de l'Éthique, formulant le fameux conatus spinoziste.
« Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de (conatur) persévérer dans son être. » (Partie 3, proposition 6)
L'humilité ainsi conçue apparaît de fait en contradiction avec cette logique fondamentale de la vie. Ainsi, plus encore que du masochisme, elle est absurdité, dé-raison.
Notons pour finir que l'étymologie est sur ce coup-là plus spinoziste que Spinoza.
Car l'humilité, au sens propre, c'est tout simplement vivre de façon terre à terre (du latin humus), autrement dit adhérer à la réalité du monde des humains. Une adhésion qui devrait logiquement la classer parmi les joies (cf 3), et constituer la base de la puissance d'être et d'agir.
Pourquoi alors cette attitude a-t-elle été travestie en auto-abaissement, en déconsidération de soi ?
La réponse est dans la question. Si cette perversion du terme est valorisée par religions et coutumes, auprès des femmes préférentiellement, c'est qu'elle est un efficace conditionnement à la soumission aux hiérarchies sociales, au pouvoir clérical et patriarcal.