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Blog - Page 270

  • Rendez vous !

    Tant la solitude me comble que le moindre rendez-vous m'est crucifixion.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Cet aphorisme fait tout à coup entendre la notion de contrainte dans l'anodin rendez-vous, chargé (qu'il le veuille ou non) de connotations comminatoires. Persécution, torture, crucifixion : oui c'est parfois le mot. On vous fixe un rendez-vous, et vous voici cloué à la demande impérative de l'autre, à une obligation que vous préféreriez éviter.

    Inversement c'est vous qui clouez si c'est vous qui fixez, c'est vrai. Mais je gage que Cioran ne voyait pas grande différence de contrainte entre les deux. Et sans le vanter il n'est pas le seul.

    De manière inattendue peut être, et formulé sur un mode moins hyperbolique, ce sentiment se retrouve chapitre 3 livre III des Essais intitulé De trois commerces (facile à retenir : 3 fois 3).

    Montaigne explique qu'il a du mal à se sentir à l'aise dans les relations quotidiennes. J'ai une façon rêveuse qui me retire à moi, et d'autre part une lourde ignorance et puérile de plusieurs choses communes. (C'est moi qui souligne).

    Non qu'il s'en vante, au contraire il le déplore : cette complexion difficile me rend délicat à la pratique des hommes (il me les faut trier sur le volet) et me rend incommode (et incapable et mal à l'aise) aux actions communes.

    Un regret que l'on retrouve souvent dans les Essais. Car si Montaigne a besoin de solitude, ce n'est pas son idéal. Il a besoin de liberté, il craint l'assignation aux rendez-vous, aux commerces dépendants d'autrui, mais la communication lui est tout autant nécessaire.

    Pour contradictoires que soient ces besoins, il dit leur trouver une satisfaction ensemble dans le commerce des livres qui a pour sa part la constance et facilité de son service (...) me console en la vieillesse et en la solitude (…) me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent (…) les livres me reçoivent toujours du même visage.

    De même si sa solitude comble Cioran c'est qu'elle est visitée de livres, et à travers eux lui donne commerce avec leurs auteurs. Préfère-t-il passer son temps avec ces interlocuteurs muets (mais si parlants) plutôt qu'avec certains (la plupart?) de ses contemporains ? 

    Comportement à rapporter à une névrose sociale, une phobie relationnelle, voire un penchant autistique ? Sans nul doute. Forme névrotique certes un peu vintage, moins conforme que guetter sur la toile pour comptabiliser les signes d'approbation.

    Mais qui a l'avantage de ne prêter le flanc à aucune crucifixion.

  • Quelques inclassables

    La philosophie hindoue poursuit la délivrance ; la grecque, à l'exception de Pyrrhon, d'Épicure, et de quelques inclassables, est décevante : elle ne cherche que la … vérité.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Voilà qui risque de laisser sous-entendre que Pyrrhon ne chercherait pas la vérité. Ce serait le scoop du jour.

    Au contraire, comment mieux approcher la vérité que par le scepticisme ?

    Précisément parce qu'il professe la chose essentielle à en dire, qu'elle est hors d'atteinte. Et que c'est pour cela qu'on ne se lasse pas de la chercher. (Bon je vous épargne les citations de Montaigne sur ce coup-là).

    Savoir si mieux vaut poursuivre la délivrance (paradoxale formulation, non ?) ou chercher la vérité ? Faudrait commencer par établir un tableau des bénéfices/risques pour les deux protocoles.

    Perso chercher la vérité je trouve pas ça décevant du tout. Mais l'inverse oui : s'escrimer à (se) la cacher, adopter la mauvaise foi (au sens existentialiste) comme ligne d'inconduite.

    (Les occasions de déception ne me manquent donc pas).

    Poursuivre la délivrance, mettons. Mais plutôt qu'à la mode nirvanesque dont j'ai dit toute la méfiance qu'elle m'inspire, je trouve plus motivant d'essayer à la mode de Nietzsche.

    Libre de quoi ? Peu importe à Zarathoustra. Mais que ton regard clairement m'annonce : libre pour quoi ?

     

  • Par principe

    Le néant pour le bouddhisme (à vrai dire pour l'Orient en général) ne comporte pas la signification quelque peu sinistre que nous lui attribuons. Il se confond avec une expérience-limite de la lumière, ou, si on veut, avec un état d'éternelle absence lumineuse, de vide rayonnant : c'est l'être qui a triomphé de toutes ses propriétés, ou plutôt un non-être suprêmement positif qui dispense un bonheur sans matière, sans substrat, sans aucun appui dans quelque monde que ce soit.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Vous voulez que je vous dise, quand je lis ça je constate que décidément le bouddhisme n'est vraiment pas ma tasse de thé. J'hésite bien un peu à le confesser, je crains que ça manque de politicallycorrectitude. Mais à l'aveu comme à l'aveu.

    Je ne conteste pas la sincérité de l'expérience limite & mystique allusionnée ici par Cioran, mais j'avoue qu'en fait oui j'y vois un néant tout ce qu'il y a de sinistre.

    Un être qui a triomphé de toutes ses propriétés je n'arrive pas à le concevoir autrement que comme une abstraction procédant du mépris (dirais-je phobie ?) de la réalité.

    Abstraction dont il enfonce le clou avec sans matière sans substrat, tandis que sans aucun appui dans quelque monde que ce soit révèle l'aspect mortifère du refus du lien.

    Cioran est-il dupe de la ruse de la pulsion de mort, qui consiste à positiver le néant en le nommant paix, à déguiser un tropisme vers la dissolution (cf la contemplation du squelette note précédente) en appel de l'absolu ?

    Bien sûr que non : dupe et Cioran c'est une contradictio in terminis.

    On doit donc déduire de cette déclaration que le néant est pour lui le plus court chemin vers le bonheur.

    Il donne ainsi raison à Freud* qui définit le principe de plaisir comme la recherche d'un degré zéro, d'un état d'excitation nulle (encéphalogramme plat autant dire).

    Et le nomme d'ailleurs parfois principe de nirvâna. CQFD.

     

    *Qu'il anathème pourtant plus souvent qu'à son tour.