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Blog - Page 268

  • Crédits et discrédits

    On n'en veut pas à ceux que l'on a insultés ; on est, au contraire, disposé à leur reconnaître tous les mérites imaginables. Cette générosité ne se rencontre malheureusement jamais chez l'insulté.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Ah j'ai trop parlé la dernière fois : ça c'est aveuglément optimiste.

    J'observe plutôt que les gens vous en veulent du mal qu'il vous font, du manque d'égards qu'ils ont envers vous.

    Quant à la générosité de l'insulté pour l'insulteur elle n'est pas si rare. Variante du syndrome de Stockholm peut être. Ou sagesse de se dire avec Zarathoustra ce n'est pas ta destinée d'être un chasse-mouches.

     

    Que nous puissions être blessés par ceux-là même que nous méprisons discrédite l'orgueil.

    Quoique. Le plus blessant n'est-il pas d'éprouver du mépris, de se découvrir capable de mépriser ? Là l'orgueil en prend un coup.

     

    Le meilleur moyen de se débarrasser d'un ennemi est d'en dire partout du bien. On le lui répétera, et il n'aura plus la force de vous nuire : vous avez brisé son ressort … Il mènera toujours campagne contre vous mais sans vigueur ni suite, car inconsciemment il aura cessé de vous haïr. Il est vaincu, tout en ignorant sa défaite.

    Voilà qui sent son La Bruyère (membre du club des MNA canal historique cf 20-4 note Compagnonnages). Cependant on peut considérer les choses sous un angle relativement positif.

    On n'est pas si loin de Spinoza quand il parle de vaincre par l'amour : et ceux qu'il vainc perdent joyeux ... (Éthique Partie 4 scolie prop 46).

    En fait on a ici comme un négatif de Spinoza. Cioran et lui arrivent à la même conclusion, mais l'un par la face lumineuse, l'autre par la sombre.

    Après tout, l'essentiel c'est le résultat dira-t-on. C'est vrai, mais je m'aperçois que plus je lis Cioran, plus j'ai envie de relire Spinoza.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Un rien de pitié

    Pour désarmer les envieux, nous devrions sortir dans la rue avec des béquilles. Il n'est guère que le spectacle de notre déchéance qui humanise quelque peu nos amis et nos ennemis.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Nos amis : déprimant, non ?

    De la part des ennemis, on admet, c'est de bonne guerre. Mais des amis pourraient éprouver un sentiment si vil (et si peu civil) ? Consciemment non. Mais dans les tréfonds de leur inconscient ?

    On me dira si on commence à jouer les ventriloques avec l'inconscient, surtout celui des autres, c'est pas demain la veille qu'on risque de s'entendre, entre amis ou ennemis.

    Bon alors prenons la chose par le bon bout du sens commun.

    Il vaut mieux faire envie que pitié. À l'inverse on préfère ressentir pitié plutôt qu'envie. La comparaison est le moteur essentiel des passions & flottements d'âme (c'est pas moi qui le dit, mais Spinoza bien sûr). Or envier positionne en moins que, avoir pitié en plus que.

    La boiterie de l'ami (ou pas) offre ainsi une béquille toute trouvée à un ego bancal, lui offrant la plus-value de la pitié. C'est humain, mais c'est triste.

    Heureusement il y a Nietzsche :

    Si ton ami est malade sois un lieu d'accueil pour sa souffrance, mais sois un lit dur, un lit de camp : c'est ainsi que tu lui seras le plus utile.

    (Ainsi parlait Zarathoustra)

     

    Un rien de pitié entre dans toute forme d'attachement, dans l'amour et même dans l'amitié, sauf toutefois dans l'admiration. (A&A)

    Dans toute forme n'exagérons pas. Mais il est vrai que l'attachement, étant rapprochement, favorise la comparaison, donc éventuellement la pitié. L'admiration au contraire est extase, gratuité, libération des comptabilités de l'ego repérées ci-dessus.

    Corollaire : impossible de confondre envie et admiration. On n'envie pas la personne que l'on admire. Et l'on ne peut admirer celle que l'on envie.

     

    Quand on doit prendre une décision capitale, la chose la plus dangereuse est de consulter autrui, vu que, à l'exception de quelques égarés, il n'est personne qui veuille sincèrement notre bien.

    En fait je parie que Cioran plaisante. Il joue à surenchérir sur l'humour désabusé de Schopenhauer ou sur l'ironie de Kafka. Et puis consulter ou ne pas consulter n'est pas sa question, convaincu qu'il est de sa lucidité.

    Ce qui signifie pour lui rester absolument pessimiste, en tout, pour tout.

    C'est que l'optimiste est affligé du grave handicap d'être déficient en négativité, pauvre imbécile heureux. Sauf que, clopin clopant il avance, lui.  

     

  • La vipère et le porc-épic

    Ce qu'on devait se détester dans l'obscurité et dans la pestilence des cavernes ! On comprend que les peintres qui y vivotaient n'aient pas voulu éterniser la figure de leurs semblables et qu'ils aient préféré celle des animaux.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Il y a des grottes (ou parois) où l'on peut voir des silhouettes humaines, ne lui déplaise. Ce n'est pas le plus fréquent certes, mais à cette rareté le tabou a sûrement plus de part que la misanthropie (sauf pour le sapiens cioranus son lointain ancêtre).

    Cependant je dois dire la promiscuité des cavernes j'y avais jamais pensé mais j'aurais pas trop aimé non plus. Déjà la plage bondée au mois d'août dans l'odeur des crèmes solaires c'est pas facile.

    Heureusement pour la survie de l'humanité, à l'époque ils devaient déjà pratiquer le modus vivendi décrit par Schopenhauer dans sa parabole des porcs-épics. (cf ce blog 29-12-2016)

    D'où la question : pourquoi pas plus de dessins de porcs-épics dans les cavernes ?

     

    Concevoir l'acte de pensée comme un bain de venin, comme un passe-temps de vipère élégiaque.

    J'ai emprunté ce livre à la bibliothèque. Comme souvent, j'ai trouvé un intérêt anthropologique à observer les surlignages et soulignements, parfois les commentaires des lecteurs précédents.

    (Tout en déplorant leur sans-gêne et manque de respect des biens collectifs) (le genre à ne pas ramasser les crottes de leur chien, à jeter leur mégot n'importe où au lieu d'attendre la prochaine poubelle)

    (je reconnais que parfois faut garder le mégot longtemps) (zut j'ai oublié d'en parler dans le cahier de doléances) (monsieur mon maire si tu me lis).

    Bref tout ça pour dire que les soulignements m'ont donné confirmation que Cioran attire la sympathie plutôt des aigris grincheux fielleux.

    (Quoi moi ? Je le lis par curiosité, par intérêt quasi entomologiste)

    (mais je vois pas pourquoi je me sens obligée de me justifier).

    Cela dit ce côté venimeux de l'acte de pensée se rencontre parfois chez Schopenhauer et même Nietzsche. Pourquoi avec eux ça passe mieux ?

    (Peut être parce qu'ils n'en restent pas à la négativité et savent proposer, eux).

    Bon : vipère élégiaque faut avouer que c'est très joli.