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Blog - Page 265

  • Sale quart d'heure

    On apprend plus dans une nuit blanche que dans une année de sommeil. Autant dire que le passage à tabac est autrement instructif que la sieste.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

    Un argument pour se contenter de l'ignorance? En fait cette affirmation est discutable (loi de l'aphorisme, sacrifier la justesse à l'effet) (les meilleurs sont quand même ceux qui arrivent à combiner les deux, non ?)

    On pourrait dire plutôt que le passage à tabac et la sieste sont aussi instructifs l'un que l'autre, mais qu'on y apprend des choses différentes. Quoique. Un point commun : la perte de maîtrise.

     

    Quiconque est passé par une épreuve regarde de haut ceux qui n'ont pas eu à la subir. L'insupportable infatuation des opérés…

    Mais comme tout le monde a plus ou moins sa cicatrice, visible ou moins, à l'arrivée chacun trouvera sa raison de toiser l'autre.

    Et puis il y a des opérés qui savent faire preuve d'élégance et rester simples.

     

    Pendant que mon dentiste défonçait mes mâchoires, je me disais que le Temps était l'unique sujet sur lequel méditer, que c'était à cause de Lui que je me trouvais sur cette chaise fatale et que tout craquait, y compris ce qui me restait de dents.

    C'est juste, le temps c'est l'entropie.

    Cette phrase me fait penser à une horrible séquence d'un film des années 70, Marathon man) (ça nous rajeunit pas) (décidément le temps …)

    Et puis, plus sympa, elle m'évoque Le Testament de Brassens

    j'ai quitté la vie sans rancune j'aurai plus jamais mal aux dents

    me v'là dans la fosse commune la fosse commune du temps

     

    Impossible de dialoguer avec la douleur physique.

    Terriblement vrai. L'avantage de la douleur morale, c'est qu'avec elle il y a toujours moyen de trouver à redire.

     

    Ce n'est pas par le génie, c'est par la souffrance, par elle seule, qu'on cesse d'être une marionnette.

    Idiot. On restera marionnette si on l'est. Et si on ne l'est pas au départ, la souffrance nous fera marionnette, jouet du destin. Et dans les pires cas, jouet du sadisme d'autres « humains ». Et surtout, à partir d'une certaine intensité et/ou durée, la souffrance finira par la casser, la pauvre marionnette.

    Il le dit d'ailleurs :

    Plus on a souffert, moins on revendique. Protester est signe qu'on n'a traversé aucun enfer.

     

  • Me too

    La femme comptait aussi longtemps qu'elle simulait la pudeur et la réserve. De quelle déficience elle fait preuve en cessant de jouer le jeu ! Déjà elle ne vaut plus rien, puisqu'elle nous ressemble. C'est ainsi que disparaît un des derniers mensonges qui rendaient l'existence tolérable.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Non il rigole, les filles.

    Humour pince sans rire, provocation (telle est mon interprétation). Cioran est négatif dépressif misanthrope, plutôt misogyne oui, mais bourrin total je lui fais crédit que non (générosité féminine).

    Exhibition caricaturale de phallocentrisme où l'on décèle en effet des indices de second degré.

    La femme comme deuxième sexe, objet et non sujet, dans laquelle le mâle trouve un commode supplément d'existence (voir la magistrale analyse de la grande Beauvoir dans son livre insurpassable) : cette vision est ici retournée dans les termes simulait, jouer le jeu, mensonge.

    Par eux, la déficience est implicitement présentée comme le fait de l'homme. Sans Ia femme qui le rassure sur son identité en exagérant sa différence, sur sa puissance en exagérant sa soumission, que deviendrait-il, pauvre petite chose ?

     

    Si je préfère les femmes aux hommes, c'est parce qu'elles ont sur eux l'avantage d'être plus déséquilibrées, donc plus compliquées, plus perspicaces et plus cyniques, sans compter cette supériorité mystérieuse que confère un esclavage millénaire.

    Supériorité mystérieuse : mystère est un mot bien commode quand on raconte n'importe quoi. « Expliquez-moi. Ah ben non c'est un mystère ».

    Fait-il allusion à l'hasardeuse affirmation hégélienne comme quoi en fin de compte le maître est l'esclave de l'esclave ? (je caricature à peine) (comme je comprends Schopenhauer, moi aussi Hegel me donne des boutons).

    Tout ça pour dire : les mecs, s'il y a que ça pour vous faire plaisir, on vous laisse l'esclavage et la supériorité qui va avec.

     

    Déséquilibrées, compliquées : c'est çui qui dit qui l'est, M'sieur Cioran.

    Perspicaces et cyniques : je lis dans ces mots la formulation (négative façon cioranesque) d'une relation plus directe à la réalité, un pragmatisme sans illusion qui est en effet souvent caractéristique des femmes.

    Après tout, oui, peut être un rapport avec l'esclavage millénaire, l'aptitude longuement cultivée à survivre et préserver la vie.

     

  • A fair lady

    Septuagénaire, lady Montague avouait avoir cessé de se regarder dans un miroir depuis onze ans. Excentricité ? Peut être, mais pour ceux-là seuls qui ignorent le calvaire de la rencontre quotidienne avec sa propre gueule.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Houellebecq sors de ce corps !

    Enfin je dis ça : aussi bien Houellebecq se trouve beau. Et puis j'ai tort de le prendre comme parangon de mochitude, c'est vraiment pas sympa.

    D'ailleurs mochitude n'est pas exactement le mot, disons grognonitude. En fait son nom m'est venu parce que sa négativité fait parfaitement écho à celle de Cioran. Encore un membre éminent des MNA. (cf 20-4-19 Compagnonnages)

    Dans la déclaration de lady Montague il s'agit d'autre chose que laideur ou maussaderie. Il s'agit de trouver sa réponse, si possible honorable, à la modification d'image de soi qu'impose la vieillesse, cette si rude déflation narcissique.

    C'est valable aussi pour un homme, mais bien plus crucial pour une femme (encore et toujours sommée même dans nos sociétés « évoluées » d'exister d'abord et parfois exclusivement par et dans son apparence).

    Pour beaucoup, la déflation n'est pas seulement narcissique, entre soi et soi, mais aussi et surtout sociale.

    Il n'est pas facile de vivre ce moment où vous devenez transparente au regard de l'autre, la sagesse ou l'intelligence ne suffisent pas toujours à s'en arranger (peut être l'humour).

    Dans le cas des actrices vieillissantes (même des grandes, même des qui en ont dans le ciboulot), et plus largement des femmes exposées aux regards via les médias, cela s'accompagne plus souvent que pour les hommes d'une mise à l'écart professionnelle. Alors rares sont celles qui ont la force d'accepter le nouveau visage de leur beauté personnelle, que la vieillesse dote d'inquiétante étrangeté.

    Alors elles optent pour la même bouche de canard, les même pommettes de hamster : et là c'est ridicule et pathétique.

    Trop de narcissisme tue le narcissisme.

    Pour ma part je ne vois dans la déclaration de Lady Montague ni excentricité ni amertume. Il y a un côté positif à la perte d'image due à la vieillesse : la liberté d'être dispensé(e) de faire bonne figure.

    Et pour les miroirs, on peut juste se contenter qu'ils renvoient la lumière.