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Blog - Page 262

  • Utile

    « Ne gaspille pas le temps qu'il te reste à vivre à imaginer ce que font les autres, si cela n'apporte rien à la société. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même III, 4)

     

    Le critère de l'utilité sociale est fondamental dans la réflexion et les choix de Marc-Aurèle. C'est tout à fait logique pour un gouvernant.

    Doit-on en déduire qu'il arrive que nos gouvernants soient déficients en logique ?

    (À moins que la déficience ne soit éthique, dis-tu lecteur ?) (On aurait dû éviter Cioran, c'est pas bon pour l'optimisme).

     

    Pour Marco à sa place, apporter à la société consistait à faire tourner aussi rond que possible la boutique empire romain.

    À l'intérieur, délimité (forcément) par le limes, la frontière, il pouvait le faire en s'appuyant sur ses principes qui étaient paraît-il démocratiques pour un empereur.

    Bon, tout est relatif, mais disons qu'il tentait de se comporter selon l'appellation de princeps senatus (président du sénat en gros) plutôt qu'avec la brutalité du tyran ou la démagogie du tribun.

    Aux marges de l'empire, ce fut une autre paire de manches, et il dut assumer d'être imperator, chef de guerre. Sans grand enthousiasme vu son caractère. Il se consolait donc en philosophant : ces Pensées furent sans doute écrites dans un no man's land loin de Rome durant l'interminable guerre contre les Sarmates (peuple germain).

     

    La pensée ci-dessus fait en tous cas ressortir le lien entre efficacité et autonomie de pensée, efficacité et prise de distance avec l'opinion (cf note précédente), avec le narcissisme inducteur de comparaison.

    Toute non empereur romain que je sois, j'opine pour ma part à ce critère de l'utilité pour le bien commun. Il est sans doute un peu plus complexe à discerner et mettre en place dans une démocratie moderne que dans un empire antique (et plutôt pour de bonnes raisons genre progrès des exigences quant à la liberté et la justice).

    Mais inversement faut voir qu'on dispose d'un corpus de philosophie politique (ce cher Rousseau évidemment et autres anciens inspirés, mais aussi les travaux actuels d'historiens et nes, sociologues, économistes) dont Marc-Aurèle aurait sûrement fait son profit.

    Lui.

     

  • Opinion publique, liberté privée

    « Tout est opinion (citation de Ménandre). C'est évident et l'intérêt du propos l'est aussi, si on le goûte dans les limites de l'opinion. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même II, 15)

     

    Le mot d'opinion est un de ceux qui reviennent souvent dans ces Pensées. Le terme employé, hypolepsis, implique l'idée d'un « en-dessous ».

    Il dit la difficulté de prendre les choses sans filtre, sans parasitage d'images, de paroles, d'a priori de toutes sortes. Parasitage nuisible à l'intelligence des choses et des situations, au bon commerce avec autrui, à la pertinence des actions.

    Montaigne pointe souvent, lui aussi, cette difficulté, usant du même terme (exemple entre cent, le titre Que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons. Essais I,14).

    L'un et l'autre notent et explorent l'interaction entre opinion et imagination.

    Et en effet il s'agit bien, avec la force de l'opinion, de l'assignation à ce que Lacan appelle le mode Imaginaire (décrit aussi par Sartre) : la perception de soi passe par l'image que renvoie le miroir du semblable humain (pour le meilleur ou le pire).

     

    Avoir une opinion, c'est avoir un avis. Qui mène souvent à devoir opiner ou pas, se déterminer, prendre parti. Comme le montrent les sondages d'opinion, dans lesquels le fameux sans opinion révèle au fond plus souvent l'absence d'adhésion que d'avis.

    Ici ce que l'on ne peut manquer de goûter surtout, c'est la finale bien aphoristique en forme de concetto. On sourit, on respire : force de l'humour qui vous relaxe de l'assignation à l'opinion, vous permet de prendre du champ avec le regard supposé de l'autre.

     

  • Rendre à César

    « Ce que je dois

    À mon grand père, à mon père, à ma mère, à mon arrière-grand-père, à mon gouverneur, à Diognète, à Rusticus, à Apollonius, à Sextus, à Alexandre le grammairien, à Fronton, à Alexandre le Platonicien, à Catule, à mon frère Sévère, à Maxime, à mon père adoptif, aux dieux. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même livre I)

     

    Ces dédicaces, dont certaines sont longuement développées, constituent le premier livre des Pensées. Elles accusent réception de legs reçus selon trois canaux.

    Premier canal, sa famille. Il faudrait dire plutôt ses familles, la biologique et l'adoptive.

    Marc-Aurèle fut adopté et désigné pour successeur par l'empereur Antonin surnommé le pieux. C'était paraît-il quelqu'un de fort recommandable, qui réussit à ne pas faire la guerre (un challenge dans son job comme on ne disait pas à l'époque).

    Globalement, avec la dynastie des Antonins, Rome (et donc le monde) a pu un peu déstresser après les règnes pleins de bruit et de fureur des Césars (mention spéciale à Néron et Caligula). Du moins jusqu'à Marco, parce que son fils Commode ne le fut pas comme on sait.

    Mais bref si l'on devait résumer d'un mot le legs que Marc-Aurèle pense avoir reçu de ses familles, ce serait noblesse. Noblesse de cœur et d'âme, combinant sens du devoir et aptitude à la liberté, exigence de vérité assortie de tolérance.

    Deuxième canal, ceux qui l'ont formé, éduqué, gouverné, s'employant à renforcer et ordonner son caractère, ses connaissances, ses aptitudes, dans l'optique de ses futures responsabilités d'empereur avant tout.

    Ce second legs peut se résumer dans ce vers que Corneille fait dire à l'empereur Auguste (dans Cinna) :

    je suis maître de moi comme de l'univers. 

    Troisième canal les dieux. Disons le divin, envisagé comme élément de transcendance à l'œuvre dans le monde et l'humain, pour les informer l'un et l'autre. Cet élément englobe les autres, car ce chapitre dédicatoire se clôt ainsi « Tout cela, je le dois aux dieux secourables et à la Fortune ».

     

    Bon évidemment ce cher Marco ne pèche pas par excès d'humilité : comme par hasard il n'a reçu que de belles et bonnes qualités qui font de lui l'homme civil, courageux, magnanime, honnête, intelligent, dont il entend laisser l'image à la postérité.

    Espérant que d'autres (successeurs, enfants, autres philosophes et hommes de pouvoir, et finalement chaque lecteur) puissent un jour écrire « ce que je dois à Marc-Aurèle : le meilleur de moi-même ».

     

    N'empêche cette litanie à ses saints personnels reste émouvante je trouve, et incite le lecteur à se remémorer les figures tutélaires de son parcours à soi.

    (Et comme lui, à passer sous silence les moins tutélaires).