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Blog - Page 259

  • Un seul et même secret

    « Sois semblable à un roc contre lequel les vagues se brisent sans répit : il reste debout et autour de lui viennent mourir les bouillonnements du flot. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,49)

     

    « Volonté et vague. Avec quelle avidité s'avance cette vague, comme s'il lui fallait atteindre quelque chose ! Avec quelle précipitation terrifiante elle s'insinue jusque dans les recoins les plus profonds des rochers crevassés ! Il semble qu'elle veuille y arriver avant quelqu'un ; il semble qu'y soit caché quelque chose de valeur, de grande valeur. - Et la voici qui revient, un peu plus lentement, toute blanche encore d'excitation, - est-elle déçue? A-t-elle trouvé ce qu'elle cherchait ? Fait-elle semblant d'être déçue ? - Mais déjà s'approche une autre vague, plus avide et plus sauvage encore que la première, et son âme aussi semble emplie de secrets et du désir de déterrer des trésors.

    C'est ainsi que vivent les vagues, - et c'est ainsi que nous vivons, nous qui voulons ! - je n'en dis pas davantage. - Comment ? Vous vous méfiez de moi ? Vous vous irritez contre moi, beaux monstres ? Eh bien ! Irritez-vous contre moi désormais, dressez vos dangereux corps verts aussi haut que vous le pouvez, élevez un mur entre moi et le soleil – comme à présent ! En vérité, il ne reste déjà plus du monde que le vert crépuscule et que de verts éclairs. Déchaînez-vous à votre guise, arrogantes, rugissez de plaisir et de méchanceté – ou plongez de nouveau, déversez vos émeraudes au fond du plus abyssal abîme, et recouvrez-les en lançant de votre blanche dentelle infinie d'écume et d'embruns – je souscris à tout, car tout vous va si bien, et je suis si reconnaissant pour tout : comment pourrais-je vous trahir !

    Car – prêtez bien l'oreille ! - je vous connais, vous et votre secret, je connais votre espèce ! Vous et moi, nous sommes d'une seule et même espèce ! - Vous et moi, nous avons un seul et même secret ! »

    (Nietzsche Le Gai savoir n°310)

     

    Que vous inspire le rapprochement de ces deux textes, du point de vue des styles, des conceptions philosophiques, personnalités de leurs auteurs ? 

    Mais oui je rigole, je sais bien c'est les vacances. (Juste : quel styliste l'ami Friedrich, non ?). Mais bon on va dire plutôt :

    Imaginez un QCM à faire sur la plage style magazine féminin

    « Êtes-vous roc ou vague ? »

    Perso je me vois bien en grain de sable. (Goût de la synthèse quand tu me tiens).

     

  • Corollaire spinoziste

    « Tout ce qui arrive est aussi habituel et familier que la rose au printemps et les fruits en été : la maladie, la mort, la calomnie, la trahison et tout ce qui réjouit et afflige les insensés. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,44)

     

    Cette pensée marque bien une limite de la pensée stoïcienne. La limite idéaliste, ou dualiste.

    On ne peut qu'adhérer intellectuellement au propos de Marc-Aurèle. Tout le monde il est pas beau, tout le monde il est pas gentil (en plus y en a qui sont ni l'un ni l'autre), voilà c'est comme ça, faut faire avec, comme on dit.

    Sauf qu'on a beau dire et admettre que c'est ainsi, ça n'empêche pas d'en ressentir du bien ou du mal.

     

    Et donc l'insensé en fait ce serait plutôt Marco (sauf son respect), dans sa minimisation de la question pourtant centrale de l'affect.

    Mettons, par pure hypothèse, que nous soyions comme lui lucides et décidés à bien agir. Nous verrons vite, nous, que l'esprit réjoui ou affligé dans lequel nous agissons est loin d'être indifférent.

    À notre bien-être d'abord (mais ça Marco s'en fiche) (OK j'admets) mais aussi et surtout aux effets de notre action.

     

    Tout ceci nous amène comme par la main à cette formulation de l'impasse idéaliste :

    Pour la plupart, ceux qui ont écrit des affects et de la façon de vivre des hommes (…) on dirait (…) qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire dans un empire. (…)

    Il n'a cependant pas manqué d'hommes très éminents (et nous avouons devoir beaucoup à leur travail et leur activité) pour écrire maintes choses remarquables sur la droite façon de vivre, et donner aux mortels des conseils pleins de prudence ; mais quant à la nature des affects et à leurs forces, et ce que peut l'esprit, en revanche, pour les maîtriser, nul, que je sache, ne l'a déterminé.

    Je sais, bien entendu, que le très célèbre Descartes a produit une fort belle théorie (je résume) ; mais, à mon avis du moins, il n'a rien montré d'autre que la pénétration de son grand esprit.*

    (Spinoza Éthique Préface part 3 Des affects)

     

    Axiome stoïcien « Quand on veut on peut ».

    Corollaire spinoziste « Encore faut-il savoir ce que vouloir veut dire ».

     

    *J'adore l'art de Spinoza d'être gentil dans la vacherie (ou vache dans la gentillesse).

     

  • Les pendules à l'heure

    « Bientôt tu seras mort et tu n'es pas encore simple, calme, invulnérable à tout dommage extérieur, bienveillant envers tous et plaçant la sagesse dans la seule pratique de la justice. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,37)

     

    Le fait de savoir que bientôt tu seras mort est-il pertinent pour motiver l'effort éthique ? À mon avis sûr que non.

    Déjà c'est ce qu'on peut se dire dès la naissance, bientôt couvrant un champ temporel d'une imprécision parfaite (et puis la différence entre 1 et 100 ans, sub quadam aeternitatis specie …)

    De plus le temps (c'est à dire la distance – supposée – à la fin) ne fait rien à l'affaire. Il en va comme pour commencer la gym ou le régime. Si tu dis demain ça veut dire jamais.

     

    Bref ta vieillesse aura peu de chance de correspondre au conseil de Marco si ta jeunesse et ta maturité, ton enfance aussi, ont été totalement incapables de ces qualités.

    Si à quarante ans t'as pas déjà un tant soit peu fait l'expérience de la simplicité, du calme, de la bienveillance, tout ça, achète-toi plutôt une montre qui brille, comme ça t'auras pas tout perdu.

     

    Je dis quarante … Quant à moi, j'estime que nos âmes sont dénouées à vingt ans ce qu'elles doivent être, et qu'elles promettent tout ce qu'elles pourront. (Montaigne Essais I,37 De l'âge)

     

    - Ouioui tout ça est bien beau, mais si peu m'importe, à moi, d'être quelqu'un de bien ?

    - La question n'est pas toi, mais les autres, à qui selon que tu sois ou non simple calme etc. tu feras la vie plus douce ou plus pénible.