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Blog - Page 258

  • Placebo

    « Ne te laisse ni dégoûter ni abattre ni décourager s'il t'est difficile de toujours agir selon de bons principes. Mais, après une défaillance, retourne à la charge et sois déjà content si la plupart de tes actions sont plus conformes à la nature humaine (…) et ne retourne pas à la philosophie comme à un maître d'école mais comme ceux qui souffrent (…) au cataplasme et à la lotion. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même V,9)

     

    Pas de déduction hâtive : il ne dit pas que la philo c'est emplâtre sur jambe de bois (du moins ce n'est pas ce qu'il a voulu dire) (quoi interprétation sauvage?)

    La philo enseignante ou soignante ? Les deux, à la fois ou séparément, selon les circonstances. Quand il s'agit de se débrouiller avec la vie, la rugueuse réalité, les difficultés relationnelles, tous les moyens sont bons. Faut faire flèche de tout bois.

     

    Montaigne le fait, malgré ses réserves sur la corporation médicale.

    S'il ne peut digérer la drogue forte et abstersive, pour déraciner le mal, au moins qu'il la prenne lénitive, pour le soulager.

    (Essais I,14 Que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons)

     

    Freud, quant à lui (et à son propre usage, lui qui s'est voulu l'un et l'autre), pointe le sadisme inconscient des soignants et des éducateurs.

    Si l'on suit Marc-Aurèle, le philosophe ne serait donc qu'à demi sadique. (Sauf s'il philosophe dans un boudoir ?).

     

  • Comme un lundi

    « Suis-je constitué pour rester couché bien au chaud sous les couvertures ? »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même V,1)

     

    Le chap V présente plusieurs pseudo-dialogues (il devait être en train de relire son Platon).

    Le premier dialogue se tient entre l'empereur chargé de responsabilités et l'homme qui voudrait bien pour une fois passer une journée à cocooner tranquille sous sa couette (avec un bon bouquin de philo par exemple).

    Y a des jours où être maître du monde, vous savez quoi on le laisserait bien à d'autres.

    Alors le surmoi de Marco l'exhorte à se ressaisir en déployant toute sa rhétorique : le métier d'empereur est ta nature (c'est ton ADN, vieux, t'y peux rien t'es programmé pour). Il faut l'aimer, autant que le ciseleur la ciselure, le danseur la danse, l'avare l'argent ou le vaniteux la gloriole.

    « Les actions sociales te semblent-elles avoir moins de valeur et mériter moins d'efforts ? » conclut Surmoi, triomphant et sûr de son coup.

    Au passage les actions sociales : belle formulation du travail de l'homme politique, hein ? Y a des jours on se dit il en passerait un par chez nous, de Marc-Aurèle, ce serait pas du luxe. À condition qu'il agisse toujours comme il s'efforce de penser, vertueusement.

     

    Et voilà qu'on se met à penser nous aussi, par exemple aux trucs pas jojo que s'est permis Marco, genre persécuter les chrétiens. Son argument : la croyance, en contestant la raison, nuit à l'exercice de la citoyenneté.

    C'est pas faux sans doute, mais alors rares sont ceux qui, étant exempts de toute croyance (religieuse ou pas), ne seront pas persécutables à un moment ou à un autre.

    Et puis : croire lutter contre la croyance erronée par la persécution, est-ce bien raisonnable ?

     

  • Raison d'état

    « Lâche est celui qui évite la raison politique* ; aveugle, celui qui occulte son intelligence ; indigent celui qui a besoin d'autrui et ne possède pas en lui-même de quoi vivre. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,29)

    *politikon logon.

     

    Cette lâcheté consiste à ne pas assumer sa condition d'animal politique, à se dérober aux responsabilités qu'elle implique.

    Un exercice de responsabilité dont l'outil est le logos structurant la pensée et la parole. Outil par conséquent du débat démocratique (démocratique c'est moi qui le dis, Marco pensait sans doute davantage à sa raison de «despote éclairé») et d'une juste organisation sociale.

     

    Si le citoyen occulte son intelligence, s'en remet à l'opinion sans chercher la réalité des faits, sans vérifier les dires, il laisse le champ libre, en lieu et place des fameux lion et renard de Machiavel, aux animaux politiques les plus louches.

    Hyènes de tout poil, anguilles sous roche, caïmans de marigot, perroquets twitteurs …

     

    L'indigent qui ne possède pas en lui-même de quoi vivre : s'agit-il d'indigence matérielle ou de manque d'assise intérieure propre ?

    À ce second titre sinon au premier, nous sommes tous plus ou moins indigents. Indigence utile en tant qu'elle ouvre à l'apport de l'autre. Mais elle peut aussi conduire à se rassurer dans le conformisme.

    Dans le contexte de la vie politique romaine, Marc-Aurèle sait que l'indigent, au plan matériel comme moral, est une cible facile pour les manipulations des démagogues clientélistes. (Nihil nove sub sole ? Je vois pas ce qui te fait dire ça, lecteur)

     

    Bref la raison, en tant qu'elle est politique, incite à cultiver le sens de la responsabilité citoyenne, à exercer l'intelligence et la lucidité, à faire en sorte que chacun accède à son autonomie matérielle, culturelle, morale.

    En somme à constituer une société d'irremplaçables (cf l'essai éponyme Cynthia Fleury Gallimard 2015).

     

    Voilà voilà. Mais restons optimistes : le voyage de mille pas commence par un premier pas, dit le proverbe chinois.

    Et il n'y a que le premier pas qui coûte. Quoique. On n'occulte pas la lucidité on a dit. Faut savoir que chaque pas coûtera un tant soit peu.