Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blog - Page 264

  • Ecole de discrétion

    Vous avez beau déserter telle croyance religieuse ou politique, vous conserverez la ténacité et l'intolérance qui vous avaient poussé à l'adopter. Vous serez toujours furieux, mais votre fureur sera dirigée contre la croyance abandonnée ; le fanatisme, lié à votre essence, y persistera indépendamment des convictions que vous pouvez défendre ou rejeter. Le fond, votre fond, demeure le même, et ce n'est pas en changeant d'opinions que vous arriverez à le modifier.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Belle analyse du je ne sais quoi de totalitaire qui caractérise souvent le militantisme, le dogmatisme prêcheur. Ce comportement furieusement irrationnel auquel horreurs et erreurs historiques doivent tout.

     

    Avoir crié ses doutes sur les toits, tout en se réclamant de l'école de discrétion qu'est le scepticisme.

    Discrétion est à entendre au sens propre. L'art de discriminer, de faire des différences. Et plus on se met à les observer, plus on en découvre. Si bien que le scepticisme, qui a le doute pour moteur, ne peut que s'abstenir de toute proclamation, fût-elle de doute.

    Conclusion : s'il y a quelque chose dont un sceptique peut douter, c'est parvenir à vraiment l'être. Comme les droites parallèles ne sont sécantes qu'à l'infini, le sceptique n'est tel qu'à l'indéfini.

     

    Plus que tout me répugne le doute méthodique. Je veux bien douter, mais à mes heures seulement.

    Et surtout pas de moi ... 

     

  • Quart d'heure de modestie

    À mesure que la mémoire s'affaiblit, les éloges qu'on nous a prodigués s'effacent au profit des blâmes. Et c'est justice : les premiers, on les a rarement mérités, alors que les seconds jettent quelque clarté sur ce qu'on ignorait de soi-même.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Typologie. Devant un compliment trois réactions possibles.

    1) L'incrédulité correspond à la tendance à se sous-estimer. On interprète l'éloge comme une gentillesse plus ou moins imméritée. (Voire une manipulation ou une moquerie si on est parano).

    2) L'encouragement à poursuivre (subtil ou pas) signale le boulimique du compliment. Une boulimie qui procède d'un narcissisme négatif, d'un besoin d'éloges pour combler un déficit d'ego.

    3) L'accepter simplement (ou le récuser de même) est la signature d'un ego équilibré, ni souffreteux ni hypertrophié.

    Exemple au hasard :

    De dire moins de soi qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie. De dire de soi plus qu'il n'y en a, ce n'est pas toujours présomption, c'est encore souvent sottise.

    (Essais II,6 De l'exercitation)

     

    Il y a du charlatan en quiconque triomphe dans quelque domaine que ce soit.

    C'est vrai le triomphe est souvent le fait d'une auto-promotion persévérante. Et pour ne pas se lasser de faire l'article de soi, il faut croire à son propre boniment, ou au moins y prendre plaisir. Ce qui définit le charlatan.

     

    Le sens aigu du ridicule rend malaisé, voire impossible, le moindre acte. Heureux ceux qui n'en sont pas pourvus ! La Providence aura veillé sur eux.

    Rend malaisée l'action, et ajoutons d'après la phrase précédente, malaisés aussi beaucoup de discours. Le sens du ridicule a beaucoup à voir avec la lucidité. Ce que je sais démolit ce que je veux. (C'est lui qui souligne)

    Peut être aussi que ce que je sais démolit mon envie de le dire.

     

    Il m'est impossible de savoir si je me prends ou non au sérieux. Le drame du détachement, c'est qu'on ne peut en mesurer le progrès. On avance dans un désert, et on ne sait jamais où on en est.

    Si tu te prends au sérieux ? Poser la question est un peu y répondre.

    Mais que le détachement soit par définition non quantifiable ni « traçable », voilà qui est très juste. Les non-dupes errent au désert du détachement.

     

  • Le secret douloureux

    La mélancolie se nourrit d'elle-même, et c'est pourquoi elle ne saurait se renouveler.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Héautontimorouménos dit Baudelaire après Térence, bourreau de soi-même, tel est de toute évidence le mélancolique. Freud en propose une explication dans Deuil et mélancolie (va relire ça, lecteur, c'est du grand Freud). Je résume vite fait.

    La mélancolie est un deuil pathologique qui ne passe pas (contrairement au deuil «normal»). À l'occasion d'une perte ou séparation d'un être humain, d'un objet symbolique, l'aspirant mélancolique trouve sa solution de réparation (croit-il). Cet objet perdu, il l'incorpore à son propre psychisme : l'ombre de l'objet tomba sur le moi, dit Papa Sigmund dans une de ses meilleures fulgurances stylistiques.

    La perte est ainsi annulée, sauf qu'un ressentiment envers la défaillance de l'objet persiste, et le désir de s'en venger, de le punir. Mais voilà le hic : l'objet faisant partie de soi désormais c'est contre soi que va s'exercer la vengeance, indéfiniment.

     

    Quand on tombe sous le charme de la mort, tout se passe comme si on l'avait connue dans une existence antérieure, et que maintenant on soit impatient de la retrouver au plus tôt.

    Comment ne pas faire le rapprochement avec ce que dit Freud (encore oui) de la tendance rétrograde de la pulsion de mort. En remontant en arrière le non-vivant était là avant le vivant (…) La tension survenue dans la substance jusqu'alors inanimée tend alors à se réduire ; ainsi était donnée la première pulsion, celle de retour à l'inanimé. (Au-delà du principe de plaisir. Chap 5)

    Pour existence antérieure, le rapprochement avec Baudelaire est évident, le secret douloureux qui me faisait languir (La vie antérieure).

     

    J'étais en proie à une angoisse dont je ne voyais pas comment j'allais me défaire. On sonne à la porte. J'ouvre. Une dame d'un certain âge que je n'attendais pas vraiment est là. Pendant trois heures elle m'asséna de telles inepties que mon angoisse se transforma en colère. J'étais sauvé.

    Angoisse devenant colère, c'est la même pulsion de mort passant de l'auto-agression à l'agression sur autrui.

    Mais ce qui me retient est plutôt ceci : au lieu d'être d'un certain âge, la dame en question aurait été jeune et jolie, gageons que, confrontée aux mêmes inepties, l'angoisse cioranesque aurait trouvé un autre dérivatif que la colère option misogynie. La pulsion de mort se serait qui sait retournée en libido

    (ce qui n'aurait pas forcément écarté la misogynie, mais bon).