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Blog - Page 269

  • Compagnonnages

    Si je me suis toujours méfié de Freud, c'est mon père qui en porte la responsabilité : il racontait ses rêves à ma mère, et me gâchait ainsi toutes mes matinées.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     Woodyallenien, non ?

     

    Je décèle immanquablement une faille chez tous ceux qui s'intéressent aux mêmes choses que moi …

    Là c'est Groucho Marx avec son célèbre Jamais je ne voudrais faire partie d'un club qui m'accepterait pour membre.

    Quoique. Il se peut que la faille soit ce qui aille à Cioran.

    Pour ma part je parie qu'il ne raterait pour rien au monde sa réunion des Misanthropes Non Anonymes, où il se tape trop l'éclate avec Schopenhauer, Kierkegaard et les autres.

     

    « Je suis lâche, je ne puis supporter la souffrance d'être heureux. »

    Pour pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il me suffit de voir comment il réagit à cet aveu de Keats. S'il ne comprend pas tout de suite, inutile de continuer.

     

    Décidément je vais postuler au club, ça fait trop envie.

     

     

     

     

     

     

  • Ukase et Karénine

    On connaît l'ukase de Claudel : « Je suis pour tous les Jupiter contre tous les Prométhée. »

    On a beau avoir perdu toute illusion sur la révolte, une telle énormité réveille le terroriste en vous.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Ukase : alors là bravo, je cherchais le mot. Ça dit bien ce truc qui agace tellement dans le style claudélien.

    Sur le fond, je trouve juste la déclaration idiote. Qu'est-ce que Jupiter sinon un Prométhée qui a réussi ?

    Perso je voterais plutôt Sisyphe.

     

    Il est plus facile d'imiter Jupiter que Lao-tseu.

    Très juste. C'est plus facile parce que

    Notre zèle fait merveille, quand il va secondant notre pente vers la haine, la cruauté, l'ambition, l'avarice, la trahison, la rébellion. À contrepoil vers la bénignité, la modération, il ne va ni de pied ni d'aile. (Montaigne. Essais II,12)

    (Au passage, on dirait qu'il fait le lien entre l'ambition de Jupiter et la rébellion de Prométhée, non?)

    Mais en fait est-ce question de facilité ou radicalement de possibilité ? 

    Facilement ou pas, Jupiter est imitable, car le pouvoir a ses recettes, il est reproductible. Mais imiter Lao-tseu ? Il n'y pas de recettes de sagesse (quoi qu'en disent les gourous qui en font leur buseness), un(e) sage est inimitable.

    Tous les non-sages se ressemblent, les sages le sont chacun(e) à leur façon.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Que ma joie demeure

    Après les Variations Goldberg – musique «super-essentielle », pour employer le jargon mystique – nous fermons les yeux en nous abandonnant à l'écho qu'elles ont suscité en nous. Plus rien n'existe, sinon une plénitude sans contenu qui est bien la seule manière de côtoyer le Suprême.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    L'émotion provoquée par ce chef d'œuvre, comment ne pas la partager ? (Pour ma part je garde l'image précieuse du regard intense, suspendu, d'un petit enfant cher à mon cœur entendant pour la première fois cette musique).

    Mais Suprême, surtout avec la majuscule, ça vous charrie un de ces fatras religieux ... Mot doré et poussiéreux à la fois. Comme s'il se réclamait du soleil, pour ne distiller en fait qu'une blafarde lueur de cierge. Il hiérarchise, compare (cf super-essentielle). Mot symptôme du triste tropisme vers la transcendance.

    Je dirais plus spinozistement que cette musique libère une énergie de joie.

    L'idéal serait de pouvoir se répéter comme … Bach.

    C'est de leur inventivité dans le radotage que les variations Goldberg tirent ce pouvoir de littéralement tenir en haleine l'auditeur. La répétition d'habitude est hypnotique. Ici elle se combine paradoxalement à l'appel réitéré au réveil.

    La formule de Bach (comme on dit la formule d'un parfum ou d'un baume) c'est vraiment que ma joie demeure. Explicitée dans le titre de la célèbre cantate, elle sous-tend toute l'œuvre, évidente dans les Variations.

    Elles sont pourtant le travail d'un deuil, croit-on savoir (cf le roman d'Anna Enquist Contrepoint Actes Sud 2010).

    Mais pourquoi « pourtant » ? Il faut sans doute dire plutôt « parce que ».

     

    La musique est une illusion qui rachète toutes les autres.

    (Si illusion était un vocable appelé à disparaître, je me demande ce que je deviendrais).

    De l'humour non grinçant, une distance légère : pas si fréquent chez Cioran. Décidément encore une preuve s'il en fallait que la musique fait des miracles.