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Blog - Page 392

  • Inconstance (2)

    Or Mlle Fortmolle était une jeune professeur motivée par les innovations pédagogiques. Aussi mesura-t-elle sur le champ l'intérêt d'avoir sous la main un écorché vivant. Ses élèves, génération vidéo, avaient tellement horreur du statique et de l'abstrait.

    Avec cet … euh … objet … instrument, (elle chercherait plus tard quel nom lui donner), ils pourraient voir en direct et en reality-show battre un cœur, palpiter les ailes pulmonaires, s'irriguer et s'assécher les capillaires au rythme de la pulsation cardiaque, se contracter et se rétracter les muscles. Enfin euh ... tout ça.

    Mlle Fortmolle en était toute retournée .

    Elle décrocha d'une main fébrile son téléphone pour fixer rendez-vous au jeune écorché. Il avait une voix chaude et bien timbrée, pas du tout le genre de voix troubl ... euh ... tremblante qu'elle imaginait à quelqu'un qui n'a pas la protection d'une peau.

    Ceci prouve que même les professeurs de SVT peuvent avoir des a priori sans aucun fondement scientifique. Ce qui n'étonnera pas ceux qui savent que le monde est un tissu d'imperfections.

     

    Le lendemain, Sylvestre était embauché en tant que "vacataire chargé des travaux pratiques".

    Le proviseur s'était fait un peu tirer l'oreille, mais Mlle Fortmolle lui avait représenté que la chair humaine en vacation est beaucoup moins dispendieuse qu'un mannequin de résine synthétique, si on le voulait vraiment performant. "Et en plus ... euh ... articulé, ce qui pédagogiquement est un must."

    Le mot le décida. Le proviseur, avant d’entrer dans la Fonction Publique, avait fait de nombreux stages de communication aux States. Ce qui lui valait une carrière fulgurante et l'assurance d'obtenir à terme une nomination en tant que Recteur d'Académie.

    Et même qui sait, de Ministre de l'Éducation Nationale.

     

    À suivre.

     

     

     

     

     

     

  • Inconstance (1)

     

    Il s'appelait Sylvestre, parce qu'il était né un trente et un décembre. Né sans peau. Le fait est rare, mais pas impossible : la preuve.

    Ce n'était pas héréditaire, il était le seul de sa famille, le vilain petit canard, canard sans plumes. Ses parents, passé le premier choc, essayèrent bien de le faire greffer. Mais rien n'y fit.

    On eut beau dévider des rouleaux entiers de peau sur son corps, ça ne prit pas. Né sans peau, sans peau il dut grandir, car cela ne l'empêcha pas de grandir.

     

    Il grandit et se posa des questions sur son avenir. Comme quoi l'absence de peau ne délivre pas forcément de toute inquiétude. (Même si on doit à la vérité de dire qu'elle vous épargne beaucoup de ces réactions épidermiques qui troublent la sérénité d'une existence).

    Quel métier, quelle position dans la vie pourrait-il trouver ?

    « Déjà, » disait-il à ses copains, car il avait des copains, manquer de peau ne signifie pas manquer de tout, « déjà qu'on risque fort d'être chômeur avec une peau, comment trouver le moindre job quand on présente aussi mal ? »

     

    C'est alors que l'un des copains eut une inspiration : il ne fallait pas chercher du boulot malgré son absence de peau, en tant qu'handicapé, en quelque sorte, mais au contraire à partir de cette particularité.

    « T'as qu'à le mettre dans ton C.V. que t'as pas de peau, y a sûrement des trucs à faire avec ... », dit-il précisément. En disant avec, il voulait dire « avec l'absence », ce qui n'est pas tout à fait la même chose que « sans ».

    Sylvestre rédigea donc l'annonce suivante, qu'il fit passer dans divers quotidiens et journaux spécialisés : J.H. bon niveau d'études générales pourrait occuper tout poste nécessitant absence totale ou partielle de peau.

    Il avait rajouté « partielle », en se disant qui peut le plus peut le moins. C'était sa façon de prendre des risques.

     

    Il n'eut pas à attendre longtemps pour recevoir une réponse. Il y avait dans la ville un lycée, et dans le lycée (enfin pas tout le temps mais aux heures de leur emploi du temps) deux professeurs de SVT, et parmi eux l'un était une femme, et s'appelait Mlle Fortmolle.

    Elle dépouillait ce soir-là les petites annonces, car elle comptait changer son ordinateur. Son regard glissa par hasard de l'informatique aux demandes d'emploi. L'expression « absence de peau » l'accrocha.

    Immédiatement elle eut la vision du vénérable écorché qui s'empoussiérait dans le bric-à-brac attenant à la salle de biologie du lycée.

     

    À suivre.

     

     

     

  • Zoé

     

    « Zoé : zoologie. Forme larvaire des crustacés décapodes qui succède au stade nauplius. » Dit Robert qui dit ce qu'il veut mais quand même. Ça calme, je trouve. (Et encore je vous épargne la définition de nauplius).

    En fait moi bêtement je m'étais dit, je vais terminer mon abécédaire spinoziste par ce mot, puisque zôê en grec veut dire vie. Quel mot mieux adapté à Spinoza ?

     

    Car Spinoza fut certes snobé par Frida Vanden Ende (cf WE à La Haye). Laquelle à son égard manqua scandaleusement de savoir-vivre, comme il m'est déjà arrivé de le laisser entendre il me semble.

    Mais, belle consolation, il fut l'objet d'une faveur extraordinaire de la part de la vie elle-même, la grande et belle Zoé, la seule l'unique.

    À lui elle se dévoila, à lui elle s'offrit sans retenue, lui donnant à contempler sa substance étendue comme sa substance pensante. Une révélation dont se saisit dans la joie son pénétrant esprit.

    Cette rencontre avec Zoé la rayonnante lui fut l'occasion de formuler quelques propositions honnêtes autant qu'éthiques, sans compter corollaires et scolies, géométriques OK mais néanmoins réjouissants au plus haut degré.

     Et puis, en compagnie de Zoé, il a trouvé la force de résister à tous les invivables qui ne manquèrent pas de croiser sa route.

    Pas mal de zombies de la superstition religieuse cherchant à le contaminer de leur stupide tristesse, à l'assigner à leur nuit de morts-vivants.

    Nombre de zoïles, distingués ou pas, l'accablant de toutes sortes de pinaillages made in conformisme.

    Zoïles ? « Critique injuste et envieux (du nom de Zôilos, détracteur d'Homère). »

    Comme quoi je ne serai pas allée pour rien à la page Z de Robert, ni vous venus pour rien sur la page de ce blog. Nous aurons appris au moins un mot aujourd'hui.

    Quoi vous le connaissiez déjà ? Oh ben zut alors !

     

    Ah oui y a aussi ça : "zutiste : membre d'un cercle de poètes qui disaient 'zut' à tout, présidé par Charles Cros".

    Cependant, malgré toutes les raisons qu'il aurait eues pour cela, Spinoza ne s'adonna jamais au zutisme. (Comme quoi pour lui l'éthique n'était pas que des mots).

    Et tenez-vous bien.

    "Remarque : on applique le mot à un cercle antérieur auquel participaient Verlaine, Rimbaud ... "

    Rimbaud ! Quoi ? Comme on se retrouve ! ...