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Blog - Page 388

  • La journée des talents (2/8)

     

    Hélène avait été surprise qu’il propose de leur prêter main-forte pour l’accompagnement des élèves à la répétition.

    Depuis son arrivée en septembre dernier, il ne parlait à ses collègues que pour des points précis du travail, conseil de classe, problème de matériel ou d’emploi du temps. Il n’enlevait guère ses lunettes noires, même à l’intérieur des bâtiments, son visage restait fermé.

    Difficile de ne pas éprouver de malaise en sa présence.

    Le mardi matin, en 2°heure, ils avaient la même pause dans leur emploi du temps. Ayant posé ses lunettes, il la fixait longtemps de ses yeux à l’iris si clair que le trou noir des pupilles y devenait vertigineux. « Un vrai regard de loup » se disait-elle.

    Elle ne baissait pas les yeux. Peut être au fond préférait-elle les loups aux agneaux. Et passons sous silence tous les bœufs genre leur collègue Petitgarçon.

    Le jour où pour la première fois il lui sourit, elle se demanda si, au collège ou ailleurs, elle était la seule à avoir vu que Justin de Cournonterral aux yeux de loup avait un étrange et beau sourire, un sourire d’ange.

    Les bruits les plus divers couraient.

    Il aurait atterri dans ce village de Haute-Provence suite à une déception amoureuse qui l’avait amené au bord du suicide. Version de Simone Fabrègues, qui occupait le CDI (si exposé aux engeances envahissantes des profs et des élèves) et ses heures d’attente de la retraite à lire des romans racontant l’amour qu’elle avait si rarement fait.

    Il aurait tenu au Marais une galerie revendue lorsque son compagnon avait été emporté par le sida. C’était ce qu’affirmait Raphaël Drouault, le prof d’Arts Plastiques, devant son auditoire habituel de jeunes et jolies collègues.

    Toute sa famille serait morte dans un accident de voiture dont il aurait miraculeusement réchappé, rapportait Anaïs Poitrail, qui en tant qu’infirmière suspectait qu’il fût sous l’emprise de la drogue ce jour fatal. Il aurait passé six mois en cure de désintoxication. Mais il fallait savoir que ça réussissait rarement, tôt ou tard, on rechutait. Les statistiques étaient sans appel.

    Quant à Alain Petitgarçon, prof de physique, il ne voulait pas trop en dire. En tant que scientifique il se devait de rester pragmatique avant tout. Et puis c’était une question d’éthique que de respecter tout le monde et de redonner à chacun sa chance. Mais enfin, fallait-il laisser ses collègues ignorer que dans l’ancien établissement de Cournonterral, il y avait eu une histoire de pédophilie jamais élucidée ? Les parents n’avaient pas porté plainte. Oui mais enfin ... Bref il était content que son fils Gaston ne soit pas dans la classe de ce monsieur.

                                                    ***

    Un jour pour cérémonie aztèque … À peine Justin avait-il prononcé ces mots, que Martin Piolet déboulait, rouge et suant, escorté de deux surveillants.

    « Faut ramener les élèves au collège immédiatement. Y a un gros pépin.

    - Un pépin ? Quel genre ?

    - Gros. La police est là. Duras …

    - Augustin, ah il est retrouvé, alors ? Qu’est-ce qu’il a fait ? »

    À suivre.

     

     

  • La journée des talents (1/8)

     

    La répétition, à la salle polyvalente du village, battait son plein. Pour la « Journée des Talents » du collège, Hélène avait convaincu deux de ses classes de monter sur scène : les 6°A dans son adaptation de La Cigale et la Fourmi, et les 4°C pour des extraits de L’Avare.

    « Par groupes de trois j’ai dit, les Cigales, c’est n’importe quoi là ! Beaucoup trop brouillon ! Célia !! Encore un fou-rire et tu vas dans le public, c’est clair ? Et vous les Fourmis, au-to-ma-ti-que, le geste pour entasser les cartons. Voilààà. Toi Sylvain, continue de rêver et c’est Julien qui fera La Fontaine. Eh oui ! Sinon ils attendent ton signal. Bon, on la refait une dernière fois. Tout le monde en place ! »

    Cette mise en scène de l’immortelle fable ne risquerait pas de révolutionner le théâtre contemporain, mais si communicative était la fraîcheur du petit groupe qu'Hélène en était sûre : le public serait bon public. Il ne restait plus qu’à sécuriser les 4° morts de trac.

    Oh et puis ça irait de toutes façons. « Même si on se rate, Madame, on se sera quand même bien amusé. Et en plus on se ratera pas ! » disait Coralyne.

     

    Ce sont dans l’ensemble de gentils élèves trompant l'ennui des interminables heures de cours aussi discrètement que possible. La meilleure solution : portable sur les genoux, le SMS au copain qui se fait trop chier deux classes plus loin.

    Pauvre Kévin : Math avec Touron ! A choisir vaut encore mieux le point de vue narratif dans le Horlà. OK on comprend pas tout, clair, mais c’est normal avec un vieux écrivain du Moyen-Age. Tandis que Pythagore, même avec Toucarré qu'est plutôt cool, va le choper. Et si t’as pas chopé, en 3° t’es mort.

    Et puis il y a toujours le classique billet plié à la va-vite qui transite de bureau en bureau dès que la prof se retourne pour écrire au tableau.

    Le choix énonciatif du narrateur, le billet passe de Laura à Léa, puis à Névil, à la troisième personne, le point de vue peut être interne, de Névil à Mikaël (regarde pas Mikaël c’est entre filles), ou externe, de Mikaël à Sarah. « Sarah, tu notes ?

    - Oui, Madame.

    - C’est quoi alors, ce papier ?

    - C’est rien. »

    « Allez ! Lisez-le nous, Madame ! » (vae victis est la loi dans ces cas-là).

    Hélène ouvre rarement le billet. Parfois, dans un accès d’auto-dépréciation dont elle est coutumière, elle se dit qu’une prof qui s’intéresserait vraiment à ses élèves ouvrirait toujours le billet, pour déchiffrer l’angoisse existentielle dans :

    « Tu fé koi a 5h ? sure ke c se soir avec Alex !!! »

    « Moi jé kc avec Ben en + je v fair les course avec ma reum. »

     

    Pendant qu’Anne supervisait l'ultime filage de la chorale, Hélène s'accorda une cigarette, sur le terre-plein devant la salle polyvalente. Dès qu’elle avait ouvert la porte, le soleil intense avait mordu ses bras.

    Elle aimait cela, toujours l’arrivée de l’été la rassurait. Une sensation d’élargissement (tiens c’était ce mot aussi pour sortir de prison).

    Elle se confiait à la lumière implacable. Quand elle aurait sa mut pour le lycée (qui sait l’année prochaine), elle monterait Phèdre en plein air, au tranchant du soleil de midi. Elle voyait déjà les costumes : Phèdre en robe blanche, comme une mariée, mais avec un ruban noir.

    Ou bien, non, des gants noirs ...

    Justin de Cournonterral était venu la rejoindre devant la porte.

    « Ce soleil … un jour pour cérémonie aztèque, non ? »

     

    À suivre.

     

     

     

     

     

     

     

  • L'heure du thé (4/4)

     

    « Vous jouez du piano ?

    - Ah, je vous ai dérangée, hier soir ? Désolé, je m'y suis mis tard, et après j’ai eu du mal sur ce morceau. Ça a l'air simple comme ça, Mozart, mais …

    - C’était très beau. C'était bon à entendre.

    Elle hésite. Puis :

    - Entrez, je vous en prie. Si vous avez cinq minutes pour une tasse de thé ?

    - J’ai tout mon temps. Avec ce temps gris, un bon thé bien chaud … »

     

    Il s’est assis sans façon. Elle va à la cuisine refaire du thé. Tandis que l’eau emplit la bouilloire, il se fait un grand vide en elle.

    Elle n’arrive ni à penser, ni à ressentir quoi que ce soit. Quand l’eau se met à déborder, elle ferme le robinet d’un geste machinal.

    Un geste vide lui aussi.

     

    « Il est froid ce thé, il vaudrait mieux le jeter. » Le jeune homme est là. À la main la tasse de porcelaine aux dessins roses emplie du liquide trouble.

    « Vous l’avez … goûté ?

    - Ne buvez pas ça, rien de plus déprimant que du thé refroidi. Je le jette ? »

    Il a joint le geste à la parole.

    Elle regarde le liquide disparaître dans le trou de l’évier, lève les yeux vers son visage.

    Lui, il s'est tourné vers la fenêtre, la nuit, la pluie qui tombe.

    Sur le grand coussin de velours, le chat a retrouvé sa place, et s'est lové dans son bien être.  

     

    Le sifflement de la bouilloire. Deux pincées de thé, la brûlure de la théière sous ses paumes.

    « Une tartine de miel, avec 'votre' pain ? »

    Il mâche avec entrain. La bouche encore pleine, il avale une gorgée bouillante.

    Il a un léger tremblement des lèvres, puis un large sourire.

     « L'heure du thé … Sympa. Je suis tombé au bon moment. »