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Le blog d'Ariane Beth - Page 192

  • Au coin de la rue : bonjour Madame merci Mamie

    Je marche sur le boulevard dans le look Daft Punk qui m'est à présent coutumier : masque réglementaire, lunettes noires pour la lumière et le vent, chapeau pour protéger mes oreilles sensibles.

    Un enfant en tricycle (5 ans peut être) me croise en me saluant d'un bonjour Madame enjoué.

    Il a trouvé tout naturel apparemment de s'adresser à cette figure impénétrable de robot. Habitude de voir les adultes masqués à l'école ou ailleurs, sans doute.

    En tous cas le robot en a le cœur tout ensoleillé.

    Je suis sensible aussi au Madame, fort rarement ajouté au bonjour, même chez des adultes.

    Croisant quelques pas plus loin la grand mère qui accélère le pas pour ne pas se faire trop distancer, j'ai envie de la féliciter pour cet enfant si réellement poli, si spontanément gentil.

     

    Toujours mon look Daft Punk, je suis assise au soleil sur un banc du parc après une petite sortie dans les limites imposées, 1h 1km.

    Arrive un groupe de jeunes, des sacs en papier à la main. Ils viennent pour goûter entre amis sans doute.

    Je les vois jeter un regard circulaire, cherchant assurément, comme je l'ai fait tout à l'heure, un banc au soleil. J'allais partir de toutes façons : je me lève.

    En me croisant, l'un d'eux, me souriant (ben oui, pas de masque) malgré l'apparence claquemurée de mon visage, me lance :

    Merci Mamie, on cherchait une place au soleil.

    J'avais compris, je partais de toutes façons.

    Merci c'est gentil, répète-t-il. Aussi spontané et réjouissant que l'enfant l'autre jour.

     

    Bon, en revanche, Mamie j'apprécie moyen.

    Oui je sais : qu'est-elle d'autre, cette petite dame aux cheveux blancs sur un banc du parc ? Il faut l'accepter, le passage du temps qui flétrit le narcisse en vous.

    Il y a eu le moment où l'on a cessé de me dire Mademoiselle, où Madame s'est mis à être évident pour les interlocuteurs.

    Plus tard ce fut l'époque où ne m'appelaient plus Mademoiselle que les forains du marché, me hélant pour me vendre leurs salades.

    Aujourd'hui les forains disent au mieux la petite dame, mais parfois eux aussi, Mamie.

     

  • Au coin de la rue (saison 2) : à la porte

     

    Au propre ou au figuré 

    Scotchée sur la porte vitrée de l'agence d'intérim une feuille qui dit « Ne forcez pas la porte, nous vous ouvrons. »

                                                                             

                

    Schizophrénie 

    Sur la vitrine du magasin de chaussures deux étiquettes.

    L'une dit « prix nets », l'autre « prix fous ».

    Un magasin où l'on est un peu à côté de ses pompes ?

     

     

    Plan marketing

    Dans le local d'exposition, de gigantesques acryliques moches et convenues, à la fois criardes et sans message. Mais assis au soleil sur un coussin devant sa vitrine, le jeune galeriste est ma foi assez charmant.

    S'il veut faire des affaires, il devrait plutôt vendre des portraits de lui.

     

     

    Musclez votre CV

    Sur un panneau publicitaire une photo de jeune sportif et cool, avec la légende « La salle de sport qui te ressemble ».

    Et dessous « En face de Pôle Emploi ».

     

  • Et quand personne (17/17) En chair et en os

    Les Essais peuvent être vus comme un tombeau (au sens d'hommage) pour La Boétie. Cela a souvent été dit.

    Mais cette remarque en amène une bien plus décisive pour le lecteur des Essais.

    Montaigne en cet écrit donne symboliquement à son lecteur, à chacun de nous, lecteurs, la place-même de l'ami perdu.

    Sa place d'interlocuteur privilégié pour la réflexion, de confident pour le cœur.

     

    « Outre ce profit que je tire d'écrire de moi, j'en espère cet autre que, s'il advient que mes humeurs plaisent et accordent à quelque honnête homme* avant que je meure, il recherchera de nous joindre :

    je lui donne beaucoup de pays gagné (lui épargne beaucoup de chemin), car tout ce qu'une longue connaissance et familiarité pourrait avoir acquis en plusieurs années, il le voit en trois jours de ce registre, et plus sûrement et exactement.

    Plaisante fantaisie : plusieurs choses que je ne voudrais dire à personne, je les dis au peuple, et sur mes plus secrètes sciences ou pensées renvoie à une boutique de librairie mes amis les plus féaux. »

    (Essais III,9 De la vanité)

     

    En écho à la célèbre formule quasi sacramentelle de son lien à La Boétie « Si l'on me presse de dire pourquoi je l'aimais je sens bien que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : parce que c'était lui, parce que c'était moi.** » (I,28 De l'amitié),

    Montaigne nous adresse, lecteur-trice, ces mots :

    « S'il y a quelque personne, quelque bonne compagnie aux champs, en la ville, en France ou ailleurs, resséante (sédentaire) ou voyagère, à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me soient bonnes**, il n'est que de siffler en paume, je leur irai fournir des Essais en chair et en os. »

    (III, 5 Sur des vers de Virgile)

     

    Elle me plaît, cette incitation à me lâcher par ce geste aussi insolent qu'enfantin.

    Incitation à me mettre au diapason de la liberté légère de Monsieur des Essais : J'ai fait ce que j'ai voulu (cf 13/17).

    Cette phrase signe l'aboutissement du travail du deuil de l'ami perdu : le deuil se résout dans la joie de cet élan pour se rendre présent, se donner à chaque lecteur (et lectrice).

     

    La Boétie et Montaigne sont morts, et nous mourrons (me suis-je laissé dire). Mais tant qu'il y aura des lecteurs, vivra Monsieur des Essais, pour de bon présent dans la chair de ses mots.

     

     

    *On sait que le premier honnête homme à répondre à cette invitation fut une femme, Marie de Gournay.

     

    **Parallélisme des deux constructions :

    parce que c'était lui/de qui les humeurs me soient bonnes

    parce que c'était moi/à qui mes humeurs soient bonnes