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Le blog d'Ariane Beth - Page 190

  • Lipogrammes (saison 2)

    Comme je l'ai déjà fait dans ce blog (juill-sept 2016) je m'en vais de cette plume te proposer, lectrice-teur, une série de petits textes en lipogrammes déclinant l'alphabet.

    En toute flemmardise je reprends (à peu de chose près) pour cette seconde série la présentation que je faisais de la première.

     

    Le plaisant dans la contrainte d'écriture, c'est qu'elle dispense du pourquoi au profit du comment. Le Sens, le Message ?

    Ils se délivreront d'eux-mêmes, émergeront du texte, comme la forme sculptée émerge du dialogue entre la pierre et le ciseau.

    Ou bien ils n'émergeront pas, et peu importe.

    Le texte n'aura peut être, sinon aucun sens, du moins pas de projet quant à son message. Il se contentera d'offrir, à qui l'écrit, à qui le lit, un petit moment de jeu avec les mots, qui feront entendre ce qui viendra, comme ça viendra.

     

    La contrainte a ses lettres de noblesse, en poésie particulièrement.

    Elle est une muse de bon conseil, et plus encore de bonne compagnie.

    Elle est aussi, la contrainte, une madone objet du culte empressé de tout atelier d'écriture qui se respecte.

    Et ce n'est que justice : quelle autre divinité peut vous faire créateur avec si peu de chose ?

     

    Parmi les contraintes figure en bonne place le lipogramme. Du grec leipein = enlever et gramma = lettre, il consiste à bâtir un texte en excluant une lettre du matériel alphabétique dont nous disposons.

    L'exemple le plus connu pour la littérature française est le roman de Georges Perec (1936-1982, grand oulipien*) La Disparition, construit sur lipogramme du E.

    Comme cela a été vu par les commentateurs, c'est en excluant de sa fiction le E que Perec signe la poursuite de sa propre histoire, après la disparition d'eux, son père tué à la guerre, sa mère assassinée à Auschwitz.

    Ainsi La Disparition, outre rendre baba devant la virtuosité, l'inventivité de son auteur, révèle une propriété de la contrainte : sa simple formulation peut suffire, si on sait la lire, à donner le sujet d'une histoire.

     

     

    *oulipo : ouvroir de littérature potentielle. Autres membres célèbres Queneau, Calvino, Roubaud. Ils ont conçu des contraintes souvent à la fois poétiques (option surréalisme) et mathématiques.

     

  • Au coin de la rue : dans l'air du temps

    Au « premier confinement » selon le terme désormais consacré, le virus avait vidé la ville. De rares bus circulaient. À vide ou quasiment.

    Le virus avait aussi vidé le ciel au dessus de la ville. Nous ne levions plus la tête au bruit des avions de la Patrouille de France pour admirer leurs spectaculaires figures, souvent soulignées de fumigènes bleu blanc rouge.

    J'aimais sortir marcher dans les rues vides pour prendre l'air. C'était un étrange allègement. Le vide des rues me donnait la sensation d'avoir l'esprit libre (sensation qui ne m'est que fort rarement donnée).

    J'aimais marcher dans le silence (seuls quelques gazouillis d'oiseaux) au milieu de l'avenue vidée de la plupart des voitures.

    Et je goûtais la revanche du piéton : une sensation de liberté, d'expansion du corps enfin libéré du gardez-vous à gauche gardez-vous à droite à chaque traversée de rue.

    Et puis en novembre ce fut confinement saison 2.

    Ce n'était pas drôle bien sûr, mais à nouveau le plaisir, dans la ville dont la vie à nouveau se ralentissait, de retrouver la largeur des trottoirs et des places.

    J'appréciais (et j'apprécie) de les voir libérés de l'invasion anarchique des tables de bistrots et restos (oui j'assume le non politiquement correct sur ce point).

    Je retrouvais le plaisir des rues calmes, faciles à traverser, délestées de leur trop-plein de voitures.

    Je goûtais aussi, davantage que la première fois encore, cet autre agrément de la balade en ville confinée : comme je croisais moins de monde, que j'avais le regard moins attiré par les vitrines, je me mettais à voir vraiment, à regarder, considérer, contempler les belles choses que je néglige habituellement, tant elles sont discrètes.

    Je me souviens d'un jour où mon regard a pris le temps de savourer la lumière-miel dans les feuilles jaunissantes des platanes.

    Puis, sur la blancheur d'une façade, il s'est nourri du rouge-betterave de trois feuilles de vigne vierge.

    Ensuite je suis restée en arrêt, longtemps, devant les quelques roses encore fleuries au jardin public.

    J'entendais chanter leurs couleurs, à voix radieuses et veloutées. Clairs arpèges de notes déliées pour ces jaunes-ci. Tapis chromatique wagnérien de ce buisson aux différents tons d'écarlate.

    Et puis la petite, là, qui déroule une phrase suave en solo. Elle est d'un rose pour lequel il n'est pas d'autre mot que : rose.

    Dans un autre jardin, ce jour-là, j'ai vu trois petits enfants sur un trampoline.

    « Sauter de joie ».

  • Au coin de la rue : de l'autre côté

    Face à face

    C'est la tombée du jour. Le ciel passe au gris bleuté.

    De l'autre côté du boulevard le petit immeuble vaguement haussmanien

    (une de ces villas construites par les riches savonniers qui ont fait l'expansion de la ville au XIX°s)

    (abritant aujourd'hui des experts comptables et autres optimisateurs fiscaux – en soi une parabole de l'évolution du capitalisme, de producteur devenu financier)

    allume ses fenêtres.

     

    Et tout à coup, avec ces yeux qui s'ouvrent sur le bleu de la nuit, la maison semble se mettre à me regarder, comme ferait un tableau de Magritte.

     

     

    Pas de deux

    Dans le jardin de cette maison d'en face, un cèdre étend sa ramure rectiligne en forme de montagne, exactement comme sur le drapeau libanais.

    Juste devant lui, un jeune platane au tronc mince. Ses branches ondulantes ne gardent plus en ce début décembre que quelques feuilles, semblables à des froufrous sur le costume d'une danseuse.

    Tels que je les vois depuis ma fenêtre, en surimpression, les deux arbres semblent des patineurs dansant leur pas de deux.

    On dirait que le grand cèdre offre la solide envergure de ses bras pour assurer son partenaire prêt à s'élancer pour un périlleux axel.