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Le blog d'Ariane Beth - Page 189

  • Enoncé (sans C)

    Quand Septime Nombrepremier dit son nom, on le regarde d'un air narquois, genre il exagère un peu gros pour un pseudo non.

    Et il maudit pour la nième fois le grand père Septime d'être mort en héros de la Résistance à 17 ans au maquis. Fallait honorer son souvenir dans la famille. En plus, ironie du sort, Septime est fils unique de son père fils unique. Personne d'autre pour hériter du devoir de mémoire.

    Mais bon il l'a, Septime, le sens du devoir, alors il a assumé. Il a rejeté avec noblesse le subterfuge du pseudo salvateur. Il ne s'est pas davantage rabattu sur la solution d'adopter son deuxième prénom.

    (Faut dire Juste n'aidait pas tellement non plus).

     

    Mais quand il est amené à dire le métier qu'il fait, alors là on rigole vraiment. En effet Septime Nombrepremier est prof de math. Histoire de destin, d'emprise familiale ...

    Et pour la (n+1)ième fois, Septime s'avoue qu'il aurait préféré naître ailleurs que dans une tribu férue d'équations, de parallèles, d'algorithmes, et vouant une véritable idolâtrie à Pythagore, Euler, Fermat, Galois …

    Si au moins on l'avait appelé Évariste, là y avait un peu de romantisme ...

     

    - M'sieur, m'sieur, bientôt la sonnerie, faut nous donner le devoir maintenant, sinon on sera en retard et Mme Rhaleuze elle va nous engueuler …

    - Non, Théo, elle ne va pas vous engueuler.

    - Ah si M'sieur je vous assure !

    - Non non en tant que professeur de littérature, elle ne vous engueulera pas et préférera vous reprendre, vous gronder, voire vous morigéner. Bon alors notez : soit la suite des 7 premiers nombres premiers … Théo, nous voudrions partager votre hilarité …

    -Ben M'sieur, euh … juste nombre premier … Sérieux M'sieur on dirait que vous nous faites un gag ...

    - Avez-vous déjà entendu le proverbe à propos de l'hôpital qui se moque de la Pitié, Monsieur Rhaime ?

    - Ouais je sais. Mais moi M'sieur je serai peut être pas prof de math en plus …

    - En effet, Théo, au regard de votre dernier bulletin, je peux totalement vous tranquilliser là-dessus.

     

  • Benêt (sans B)

    Les autres y en a ils sont méchants.

    Ils me traitent de crétin, idiot, demeuré, mongolien, tout ça, que des mots pas gentils. Ils me disent pas en face non, ils parlent entre eux.

    Ils croient quoi ? Que je les entends pas ?

    Mais je les entends j'ai des oreilles moi aussi.

     

    Et y a pas que les mots. Pour rigoler ils me refont : mes gestes, comme je marche. Des fois c'est dans mon dos, des fois même pas.

    Ils croient quoi ? Que je les vois pas ?

    Mais je les vois j'ai des yeux moi aussi.

     

    Il y a les gros méchants. Ils menacent, ils frappent, ils volent, ils violent même des fois. J'en ai connu.

    Et puis y a les méchants petits. Ceux-là ils font les gentils alors on comprend pas tout de suite que c'est des méchants aussi.

    J'en ai connu aussi, celui qui fait qu'il est ton ami : je t'invite à prendre un verre, viens au ciné avec moi, tout ça. Après il dit : j'ai pas de sous sur moi, tu peux payer ?

    Moi je payais ça me faisait rien, l'argent je m'en fous, j'ai jamais su compter. Et puis quand c'est pour ton ami, tu donnes.

    Un jour c'est moi qui avais pas les sous sur moi. À partir de ce moment plus d'invitation. Plus d'ami.

    Une fois, deux fois, tant de fois comme ça. Et j'ai compris. Celui qui fait le gentil c'est pas qu'il m'aime, qu'il me veut moi, c'est juste qu'il veut un truc que j'ai.

     

    Ils croient quoi ?

    Que je peux pas comprendre ?

    Mais j'ai une tête moi aussi. Je comprends.

    Et même j'ai compris quelque chose qu'ils comprendront jamais.

     

    Les autres y en a ils sont méchants. Souvent ils savent même pas pourquoi.

    Moi je sais, ils veulent ce truc que j'ai et qu'ils ont pas.

     

    Moi j'ai un cœur.

     

  • Nonagénaire (sans A)

    Vivre, quelle histoire. Belle, moche ?

    Une longue histoire en ce qui me concerne, lestée que je suis de mes neuf décennies.

    Une histoire constituée de mille histoires emboîtées, tels les récits-gigognes des Mille et une nuits. Il me semble en effet que ce n'est nullement une seule vie qui me fut donnée.

    Bien plutôt un tel nombre qu'il est impossible d'en déterminer le compte.

     

    Outre que compter est une idée stupide en l'occurrence.

    Que devrions-nous compter d'une existence ? Les êtres chéris, les lieux où nous nous sommes trouvés ? Les emplois exercés, les fonctions occupées ?

    Les jours, les nuits, les joies, les peines, les erreurs, les bons choix ?

     

    Peut être comme pour l'héroïne des Mille et une nuits l'enjeu est-il plutôt de conter ? Enjeu existentiel du crépuscule de l'existence : formuler les histoires dont on fut le héros, l'héroïne, les regrouper en une seule et dire : c'est mon histoire, c'est moi. 

     

    Pour l'heure, rendue que je suis sur les confins du bout du chemin, où se profilent clôture du compte et dénouement du conte, me vient de dire ce que je veux retenir de l'histoire.

     

    S'estompe le dur, perdure le doux,

    se dissolvent les pleurs, les peurs et les tourments,

    demeure une entière joie,

    guérissent les blessures des épines,

    et persiste l'odeur des roses.