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Le blog d'Ariane Beth - Page 185

  • Point d'eau (sans O)

    Je me demande s'il faut pas que je me rende à l'évidence : je serais perdu que ça me surprendrait pas. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

    D'habitude j'ai le sens de ... Faut dire va chercher un truc qui fasse repère dans ce paysage ...

     

    Ah tiens, là je suis passé. Sûr … Enfin, je dirais peut être. Mais si, si je réfléchis, j'ai dû déjà passer par là, nécessairement. Il peut pas en être autrement.

    Sachant le chemin que j'ai pris. Que je suis censé suivre. D'après la carte.

    Allez pas de panique, je suis pas paumé, je suis pas paumé, je suis pas paumé ...

     

    Sauf qu'en fait je marche depuis des heures, maintenant, et rien n'avance. J'avance pas. Enfin si, j'avance, je marche, j'arrête pas de marcher, mais je ne vais nulle part.

     

    Le plus grave c'est que dans pas tellement de temps j'aurai plus d'eau.

    Là ça risque de craindre carrément. Si seulement j'étais pas seul. J'aurais dû partir avec quelqu'un. C'est risqué de se lancer dans les parages seul. Le désert c'est pas rien. Plein de gens le disent.

    D'ailleurs Aude me l'avait dit. Seulement c'est pas elle qui serait venue, elle m'aurait pas suivi ...

    Allez faut pas que je pense à ça maintenant.

     

    Réfléchir, garder la tête en état de … marche. Haha. L'eau. C'est ça le vrai hic. Sur la carte y a plusieurs puits marqués. Je suis l'itinéraire, j'arrive à un puits, c'est simple …

     

    Paraît qu'il y en a ils peuvent être à sec ... Faut pas que j'envisage le pire. Pas de panique, déjà je suis pas déshydraté, j'ai de la marge. A défaut de margelle. De puits. Haha ... L'eau.

     

    Je suis pas déshydraté. Pas vraiment. Mais je suis fatigué. Je suis crevé.

    Qu'est-ce qu'elle dit, cette fichue carte ?

    Je suis parti de là, et j'ai marché plein sud. Ensuite je suis arrivé à une cabane, enfin un genre de cabane. Je pense que c'est le repère qui est marqué d'un triangle …

    Après j'aurais dû arriver à cette surface grisée. Elle indique un élément déterminant du paysage, j'imagine, vu la place que ça prend sur la carte.

    Mais rien. J'ai raté un truc ?

    Pas de panique, je suis pas paumé, je peux pas être paumé.

     

    Le temps. Faut se repérer au temps. C'était quelle heure quand je suis parti ?

    Euh … Quelle heure ? À peu près je dirais …

    Merde j'en sais rien. J'aurais dû l'écrire. Faut faire ça.

    Aude me l'avait dit. Fallait faire ça. Je l'ai pas fait.

     

    Cela dit, pas sûr que ça m'aiderait, vu que je sais pas bien à quelle vitesse je marche … Allez, le temps, tant pis.

     

    Le truc plus embêtant c'est que j'ai presque fini l'eau.

    Si j'arrive pas à un puits dans … 

    Allez pas de panique je suis pas déshydraté je suis pas paumé je suis pas déshydraté je suis pas paumé … je suis pas ...

     

  • Plus de laine (sans N)

    Dès le réveil, Marcel fut alerté : il se passait quelque chose de bizarre.

     

    Les bêtes, il y avait quelque chose avec les bêtes. Il pouvait l'affirmer, oui, il aurait mis ses doigts à couper qu'il y avait du pas clair, du pas comme d'habitude là-haut sur l'alpage.

    Pourquoi le savait-il avec cette certitude ? Des siècles qu'il était berger, pour dire, voilà pourquoi.

     

    Il prit le temps d'avaler le café au lait avec le morceau qu'il tailla sur la grosse miche, il y ajouta même plus de marmelade qu'à l'accoutumée. Si c'était, comme il le redoutait, quelque chose de terrible, il faudrait faire face, échapper au risque d'être pris de malaise.

     

    Il voulait éviter de formuler le mot, même pour lui seul. Mais le mot s'imposait, occupait peu à peu tout l'espace de sa cervelle, lui assiégeait l'esprit comme un adversaire retors.

    Le mot terrible, le mot catastrophe : le loup.

     

    Il marchait, le cœur serré, le souffle court. Il s'efforçait d'écarter les images. L'horreur, il l'avait déjà eue sous les yeux, il était déjà passé, le loup, il avait déchiré ses brebis, leurs petits.

     

    Il arriva sur la hauteur de l'alpage. Le troupeau était paisible, les bébés collés aux pattes des mères, les deux béliers à l'écart. Sur l'autre aile du troupeau, Médor veillait, mais à demi assoupi, yeux mi-clos.

    Marcel poussa un soupir, soulagé. Et même il se mit à rire : il aurait été mauvais médium. Cette chose vague qui rôdait …. Idée germée à bas bruit au cœur de lui-même, au fil des mois de solitude. Voilà tout.

     

    Il s'approcha. Alors il vit : sur les bêtes, plus de pelage.

    Qui était passé les raser ? Et pourquoi pas de bruit qui l'aurait alerté ? Pas de cri chez les bêtes, passage imperceptible de celui qui avait fait ça.

    Celui ? Celle ? Homme ? Femme ? Il l'imagina, semblable aux esprits, aux elfes.

     

    Le spectacle de ses bêtes dépouillées, mais si paisibles, était irréel. Image de rêve. De rêve, oui, pas de cauchemar : elle était comme adoucie, estompée sous la lumière brumeuse de l'aurore.

     

  • Fini les dilemmes (sans M)

    Pourquoi se casser la tête ? Il n'est pas si difficile après tout de s'abstenir autant que possible de réfléchir, de cesser de se poser des questions à tout propos.

    En tous cas beaucoup de gens y arrivent, je le constate. Non, il n'est pas exact de dire qu'ils y arrivent, car de fait ils le font sans effort aucun.

    Ils ne pensent pas, et c'est sans y penser : haha ce que je suis drôle quand je veux, non ?

     

    À quoi je réfléchis, quelles sont donc ces questions que je pose, vous dites ? Oh pas toujours de grandes choses.

    Les raisons qui font que la terre ne tourne pas trop rond, ou pourquoi les êtres censés être pensants et sensés qui y vivent ne pensent pas tant que ça, j'avoue oui j'y pense.

    Sauf que j'y pense et puis j'essaie d'oublier, car c'est trop attristant de savoir que je n'y peux rien. Si peu. Si peu que rien dirait un philosophe gascon dont vous avez peut être entendu parler.

    C'est pourquoi ce n'est pas ce qui occupe en priorité les neurones dont je dispose.

     

    Alors quoi ? Quelles sont ces préoccupations si pesantes que je voudrais bien, sinon répudier une fois pour toutes, en tous cas tenir à quelque distance un instant ?

    Je ne sais pas si je peux vous le dire, je crains votre ironie, votre persiflage. Vous allez dire : quoi, c'est tout ? Vous êtes sérieuse, là ?

    C'est de ces têtes d'épingle que vous faites tout un plat ?

     

    Non non ne protestez pas, je l'ai entendu tant de fois, et de gens fort bien intentionnés, autant que vous. Écorchée vive, trop sensible, susceptible : depuis l'enfance je l'entends.

    Il faut donc qu'il y ait là une part de vérité, ai-je fini par convenir.

    Sauf que vous savez quoi, s'il y a un truc qui peut rester en travers de la gorge, c'est bien des têtes d'épingles.

     

    Enfin, tout ça pour dire que c'est décidé je cesse les préoccupations inutiles.

    Et en guise de bon début, je vais négliger de répondre à vos questions. Vous refiler le bébé en quelque sorte.

     

    De façon à ce que, si pourquoi il y a, il ne soit plus que pour vous.